Les administrateurs

La Maison de Poésie est administrée par un Conseil de sept poètes qui se renouvelle par cooptation au décès ou à la démission de l’un d’eux. Ils étaient huit à la création, mais il était prévu qu’Auguste Dorchain ne serait pas remplacé.

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Une Fondation originale

La Maison de Poésie (ou Maison de la Poésie) a été créée par les dispositions testamentaires du poète Émile Blémont. Elle a été reconnue d’utilité publique.

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Une octogénaire mise à la rue

La Maison de Poésie-Fondation Émile Blémont a été expulsée en octobre 2011 de ses locaux historiques qu’elle occupait depuis 1928 dans l’Hôtel particulier d’Émile Blémont, rue Ballu à Paris, à la demande et au bénéfice de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD).

C’est un épisode particulièrement tragique de l’existence d’une Fondation reconnue d’utilité publique par décret du Président de la République, Gaston Doumergue, du 9 août 1928.

Les 30 000 volumes de sa bibliothèque, les tableaux, les sculptures, les manuscrits, tout le patrimoine de la Maison de Poésie a été mis en caisses et placé dans les dépôts de la Bibliothèque Nationale de France. Tous les rayonnages ont été vidés.

La poésie est descendue aux catacombes. La nuit tombe. Les poètes disparaissent.

Réalisant une belle opération immobilière, la SACD a pris possession le 11 octobre 2011 des locaux ayant abrité et fait vivre la poésie pendant quatre-vingt-trois ans. Des bureaux prendront la place des poètes.

MATHILDE MARTINEAU

SOUPIR POUR UN COUP DE DÉS

 Les manuscrits restent au goût du jour et les salles de ventes demeurent le lieu où l’on peut voir quelques raretés littéraires. Sotheby’s a proposé le 15 octobre 2015 une vente de la bibliothèque de Stéphane Mallarmé. Depuis 1898, année de la mort du poète, cet ensemble avait été conservé par sa fille Geneviève et son gendre Edmond Bonniot. Il fut complété par divers documents, manuscrits et lettres de poètes amis. Les pièces les plus singulières de cette collection étaient constituées par l’ensemble des états de l’ultime poème de Mallarmé, Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, de la maquette manuscrite jusqu’à la première édition, en 1914.

« LA PLUS BELLE ÉDITION DU MONDE »

                       (Vollard)



 La genèse du Coup de Dés commence en 1896 lorsque André Lichtenberger, rédacteur de la revue Cosmopolis, sollicite la collaboration de Mallarmé. Cette revue internationale dont le siège se trouvait à Londres, était à la fois littéraire, théâtrale et politique. Quelques mois plus tard Mallarmé soumit un texte à Lichtenberger qui lui-même le soumit à sa rédaction. Le texte sembla si étonnant que la publication fut accordée sous la condition d’être accompagnée d’une préface. Le poète s’empressa d’accepter. Dans Varieté, Paul Valéry rapporte que Mallarmé en mars 1897, rue de Rome, lui lut les épreuves corrigées.


 Je crois bien que je suis le premier homme qui ait vu cet ouvrage extraordinaire.[…] [ Mallarmé] se mit à lire d’une voix basse, égale, sans le moindre « effet », presque à soi-même. […]me fit enfin considérer le dispositif. Il me sembla de voir la figure d’une pensée, pour la première fois placée dans notre espace… Ici, véritablement, l’étendue parlait, songeait, enfantait des formes temporelles. L’attente, le doute, la concentration étaient choses visibles. […] Le 30 mars 1897, me donnant les épreuves corrigées du texte que devait publier Cosmopolis, il me dit avec un admirable sourire, ornement du plus pur orgueil inspiré à l’homme par son sentiment de l’univers : « Ne trouvez-vos pas que c’est un acte de démence ? »


 Mallarmé commençait ainsi la préface qui accompagnait le poème paru dans Cosmopolis en mai 1897 :

J’aimerais qu’on ne lût pas cette Note ou que parcourue, même on l’oubliât.

 Continuant de sa manière modeste, il suggérait que la présentation des mots et l’importance des « blancs », devaient être simplement perçues comme une nouveauté de l’espacement de la lecture. Dans une lettre à André Gide, il rendit hommage à la revue.

 Cosmopolis a été crâne et délicieux, mais je n’ai pu lui présenter la chose qu’à moitié, déjà c’était, pour lui, tant risquer ! Le poème s’imprime, en ce moment, tel que je l’ai conçu quant à la pagination, où est tout l’effet. Tel mot, en gros caractères, à lui seul, domine tout une page de blanc et je crois être sûr de l’effet.

 Mallarmé, bien que satisfait, ne jugeait pas cette publication idéale, car il fut contraint d’adapter son texte à la verticalité du format de la page de la revue. C’est dans cet esprit qu’il accepta la proposition du galeriste Ambroise Vollard. Celui-ci projetant de créer une édition d’art illustrée, proposa à Mallarmé de publier un de ces poèmes avec des lithographies d’Odilon Redon, et, en lui laissant toute liberté de présentation pour réaliser « la plus belle édition du monde », chez Firmin-Didot, imprimeur de l’Institut.

LA POÉSIE ? À QUOI ÇA RIME ?

« La poésie est morte, dit-on de toutes parts. Pour nous, nous n’en croyons rien ; nous croyons seulement qu’au milieu de préoccupations plus vives, le goût de la versification s’affaiblit et disparaît pour un temps. »
É. Sommer,
Petit Dictionnaire des rimes françaises. Librairie Hachette, 1894. (Exemplaire utilisé et annoté par Émile Blémont).

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LA POÉSIE DES POÈTES

« La Poésie a manqué de dignité et en est punie par le dédain qui la fait considérer comme une chose médiocre et qui ne peut être prise au sérieux. »

 Alfred de Vigny. Carnet de 1840-1842.

     Il fut un temps où la poésie paraissait évidente, puisqu’elle était alors simplement « l’art d’écrire en vers », comme la définissait Louis Quicherat en 1850 dans son Traité de versification française. Bien entendu, cette célèbre définition ne résolvait rien, ne révélait aucun secret et laissait sans explication les deux mots importants, art et vers. Les poètes eux-mêmes s’opposaient pour savoir ce qu’était vraiment cet art qu’ils pratiquaient : les Trissotins et les Vadius se querellaient par jalousie, puis les anciens et les modernes à l’Académie, puis les Bouffons au théâtre, puis les Romantiques et les Classiques, les tenants de la rime pour l’œil et ceux de la rime pour l’oreille, les surréalistes avec tout le monde, etc. Par-delà ces querelles traditionnelles, celles des poètes qui sont des « gens irascibles » comme l’avait déjà reconnu Horace, l’apparition des vers-libristes à la fin des années 1880 suscita une vraie différence entre les uns et les autres et reposa, pour la première fois, sur des réalités esthétiques et non plus simplement sur des impressions ou des jugements sans raisons objectives. Quand on va voir d’un peu près cette célèbre querelle, comme nous l’avons souvent fait ici-même, on est surpris par la rigueur des positions des uns et des autres et par la vigueur des invectives.

      Un siècle et quart plus tard, l’opposition entre la versification traditionnelle et le vers libre semble moins violente, moins outrancière, elle existe toujours. La différence entre ces deux époques, celle de la naissance du vers libre et la nôtre où coexistent ces deux types de poésie, c’est tout de même l’occultation paradoxale de la poésie, de plus en plus pratiquée par de plus en plus de gens, et de moins en moins lue, ayant de moins en moins de lecteurs et de moins en moins de place partout – si ce n’est, encore, dans les écoles. On constate qu’à la fin du XIXe siècle, la poésie occupait une place qu’elle n’a plus aujourd’hui.

      Certes, la poésie a toujours vogué de crise en crise, chaque époque se plaignant de la désaffection dont elle aurait soudain souffert, et Alfred de Vigny notant dans un de ses Carnets un sujet de poème restant « à faire », qu’il ne fit pas, d’ailleurs. Mais tout de même, les ventes des recueils de Victor Hugo, la floraison des revues de poésie à l’approche des années 1900, les Prix Nobel décernés à des poètes, et d’abord à Sully Prudhomme, poète français, premier Prix de l’histoire des Nobelisés, les célèbres scandales des surréalistes, puis, dans la deuxième partie du XXe siècle, les succès des poèmes de la Résistance, la popularité de la collection des Poètes d’aujourd’hui de Pierre Seghers, tout montre, par comparaison, quelle pauvreté, quelle misère, notre époque réserve à la poésie !

      On en a souvent analysé les causes, et nous ne le referons pas encore une fois, les torts étant partagés entre les écrivains, les éditeurs, la presse, les critiques, les universitaires, les profiteurs, les inventions techniques etc., le tout soumis à l’égoïsme « obligé » de l’époque, à l’écrasement systématique de la tradition culturelle, à la mainmise du profit sur tout et partout.

ÉCRIRE SANS ÊTRE LU

     Or, nous l’avons déjà remarqué, les poètes sont toujours aussi nombreux, peut-être parce que le désir de « créer », de « s’exprimer » personnellement devient de plus en plus prégnant dans une société tellement bavarde pour ne rien dire, certainement aussi parce que la poésie semble un art relativement accessible puisque son matériau, le langage, est déjà en la possession de tout le monde, et, osons le dire, certainement aussi parce que la poésie écrite en vers-libre paraît plus « facile » pour s’essayer à la poésie, ce qui n’est pas tout à fait exact.

Comme on le sait, Le Coin de table refuse de s’enrôler chez les uns ou chez les autres, et la revue publie aussi bien des vers libres que des vers plus classiques, ayant le seul souci de faire connaître de « bons poètes », expression très ambiguë qui ne correspond qu’à des choix effectués au nom de goûts personnels et sans aucune justification, surtout pas technique. Il nous a toujours semblé qu’un poème se devait d’être une œuvre structurée, et agissant d’elle-même par ses propres vertus – sans avoir besoin d’explications ni de gloses. La poésie est toujours un art.

      Tout cela reste théorique. Or, la poésie est d’abord une pratique, celle de l’auteur, celle du lecteur. Et la crise poétique que nous vivons est évidente. Est-elle passagère ? Est-elle si grave que la poésie serait arrivée à sa fin ? Assistons-nous à sa mort ? La poésie n’a-t-elle plus d’avenir ?

      Nous avons donc demandé leur avis à des poètes et à des amateurs de poésie et nous avons reproduit leurs réponses très diverses sur cette survie ou cette disparition de la poésie. Comment ressentent-ils cette éclipse de la poésie qu’ils pratiquent en l’écrivant ou en la lisant ? Parmi ceux qui ont bien voulu nous répondre, on trouvera des poètes célèbres (mais dans quels cercles ?), d’autres moins connus (on peut espérer qu’ils parviendront à percer l’indifférence généralisée de notre époque).

      Comme on le constatera, une synthèse de leurs réponses semble impossible, par exemple entre ceux qui s’en tiennent à la versification classique et ceux qui n’aiment que le vers libre, tout en sachant, certainement comme nous, que les deux pratiques ont suscité aussi bien des réussites que des échecs. En outre, sans être aussi ancien que la versification traditionnelle, le vers libre est lui aussi une vieille lune clopinant allégrement vers son siècle et demi. L’attribut « moderne » n’a plus de sens. D’ailleurs, certains poètes refusent cette opposition (pourtant bien réelle), en s’en tenant à l’œuvre de qualité (hélas ! de plus en plus rare).

      Les facteurs de cette qualité sont connus : l’image et l’imagination, le sens du rythme, la beauté de la mélodie, etc. Ils rejoignent une réalité plus subtile et difficile à cerner, celle du souffle, de la respiration, qui renvoie (peut-être) à la diction, à la lecture à haute-voix, au langage énoncé par-delà l’écriture. Et sans doute n’y a-t-il plus assez de rencontres avec un(e) diseur, ou avec le poète lui-même disant ses vers. Il nous semble que plusieurs poètes souhaitent ce passage (ce retour) à une oralité qui est aussi une définition de la poésie – jusqu’à la mémorisation, excellente défense des partisans de la forme resserrée du vers traditionnel.

      Évidemment, tout se tient, et cette relative disparition de la poésie orale vient aussi de l’amenuisement de la vie poétique (et réciproquement dans ce cercle vicieux). Alfred de Vigny se plaignait déjà de cet abandon, et il estimait que la poésie manquait alors de dignité, notion assez vague pour que nous nous en méfiions tout de même un peu. Mais on voit bien qu’elle justifie en partie les succès de certaines époques. La poésie reste certainement « l’art de combiner les mots » pour en tirer un maximum d’effets, mais au service de quel plaisir – ou de quelle cause ? Certains souhaitent que le poésie retrouve le langage du combat qu’elle a utilisé à certains moments (on pense, évidemment, aux Châtiments), notre société actuelle nous offrant un large champ de protestation, dans des styles divers (nous avons attiré l’attention ici-même sur la poésie « engagée » à sa façon de Michel Houellebecq).

      On fait remarquer que le monde littéraire a abandonné la poésie pour le roman (avec ses succès et ses lourds échecs), pour diverses raisons dont les financières ne sont pas les moindres : les ventes dans les deux genres ne peuvent pas se comparer. Il est vrai que les recensions de poésie n’existent pratiquement plus dans la grande presse, d’une part ; que les émissions médiatiques (radio ou télévisions) sont plus consacrées, d’autre part, à la petite histoire de l’auteur qu’à l’œuvre proprement dite. Mais tout ceci constitue des recherches d’excuses qui n’en sont pas.

      La vérité, c’est tout simplement que nous n’avons pas actuellement la coïncidence nécessaire, celle d’une situation sociale assez marquée et d’un poète assez puissant pour la transmettre. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a rien à faire, mais que le succès de la poésie ne peut se manifester qu’à certains moments de crise, de tension, de joie collective, de désespoirs communs.

      Reste le mystère de ce qu’on attend, de celui qui doit venir. On remarque que pour certains correspondants, la poésie touche toujours au sacré. On ne sait pas trop pourquoi, la poésie est toujours « la petite espérance » qu’il faut précieusement garder.

      Et c’est bien pourquoi nous continuons.

LE COIN DE TABLE

POÉSIE VIVANTE

Depuis plus d’un centenaire, la poésie est menacée et on prédit sa disparition prochaine. Or, ce qui est intéressant, c’est le maintien du nombre de poètes (preuve que la poésie va bien) et l’amenuisement de ses lecteurs (preuve que la poésie va mal). On s’intéresse périodiquement aux lecteurs qui disparaissent – et pas assez, à notre avis, aux créateurs qui continuent à écrire, les uns dans la versification classique, les autres dans un vers libre sans préoccupation outrageuse. C’est justement à quelques-uns d’entre eux que nous avons demandé : La poésie ? À quoi ça rime ? Les résultats sont intéressants dans leur variété.

De toute façon, rimes ou sans rimes, mètre ou sans mètre – la poésie continue,  comme le montre le récent numéro de la revue Le Coin de table.

Le grand nombre de poèmes contemporains le prouve, comme les études consacrées à des poètes de jadis (Mallarmé, Régnier, Gide, Jammes, Aicard, Fabié, Mac Orlan, Apollinaire, Soupault, etc.), et des reproductions particulièrement abondantes. Oui, la poésie reste bien vivante et Le Coin de table le prouve avec son soixante-cinquième numéro.

LA MAISON DE POÉSIE – FONDATION ÉMILE BLÉMONT

La Maison de poésie est une Fondation créée par les dispositions testamentaires d’Émile Blémont. Elle a été reconnue d’utilité publique par un décret du Président de la République le 19 août 1928. Elle est la seule Fondation agissant en faveur des poètes et de la poésie par ses diverses activités (publications, revue, conférences, récitals, bibliothèque, présence en diverses institutions, etc.).

Émile Blémont, son fondateur, est le personnage central du tableau de Fantin-Latour, Coin de table (1872) et, avec ses amis, le fondateur de la revue La Renaissance Littéraire et Artistique. C’est Émile Blémont qui fit asseoir au coin de la table deux jeunes poètes alors inconnus, Paul Verlaine et Arthur Rimbaud.

Poète et animateur de revues, Émile Blémont était aussi un mécène. Il acheta le célèbre tableau et en fit don à l’État. Le Coin de table est aujourd’hui au Musée d’Orsay.

La Maison de Poésie-Fondation Émile Blémont est administrée par sept poètes qui sont aujourd’hui Jacques Charpentreau, Sylvestre Clancier, Jean-Luc Despax, Jean Hautepierre, Jean-Luc Moreau, Jean-Pierre Rousseau, Robert Vigneau.