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Fondation Émile Blémont - Reconnue d'utilité publique​

La Maison de Poésie

De musique et d’autres choses par Jacques Charpentreau

 « De la musique avant toute chose »
Paul Verlaine

      Une longue étude de Florent Albrecht consacrée aux recherches en versification à la fin du XIXsiècle confirme qu’il s’agit bien d’un problème poétique majeur que les nombreux et remarquables poètes de cette époque tentèrent de résoudre, chacun à sa manière, ce qui devrait être aujourd’hui, pour nous, une leçon à méditer. 

     Le nombre et la qualité des poètes de sont alors deux évidences : Banville, Baudelaire, Corbière, Gautier, Heredia, Laforgue, Leconte de Lisle, Lerberghe, Maeterlinck, Mallarmé, Merrill, Moréas, Régnier, Rodenbach, Samain, Verlaine, Vielé-Griffin, pour nous en tenir aux principaux, quelle anthologie ! Le sous-titre de cette étude est très prometteur : Modèle musical et enjeux poétiques de Baudelaire à Mallarmé (1857-1897).

     À sa façon, le titre aussi : Ut musica poesis. Il reprend une expression de L’Art poétique d’Horace, « Ut pictura poesis », la poésie est comme une peinture (ou comme « la » peinture), qu’on peut comprendre de plusieurs façons, soit appelant à traiter chaque genre poétique en lui-même comme chaque genre pictural, soit, par extension, tout poème comme un tableau. Soit, ici, en assimilant la poésie à la musique, puisque Mallarmé estimait que la poésie devait « reprendre à la musique son bien ». 

     Mais ce titre en latin et sa confusion possible témoignent d’une faiblesse de l’ouvrage, à la fois très savant et souvent très confus. On peut lui pardonner ces péchés qui tiennent en partie aux subtilités du sujet – tout en condamnant fermement ses tendances jargonnantes qui ne ratent aucune référence aux plus jargonneurs poéticiens d’aujourd’hui – tout en ignorant totalement ce que peuvent penser, dire, écrire, les quelques poètes qui réfléchissent de nos jours à ces problèmes. 

     Ces réserves faites, reste un ensemble d’études sur une époque poétique qui vit coexister la fin du Romantisme (Victor Hugo meurt en 1885), Les Fleurs du mal baudelairiennes publiées et condamnées en 1857, L’après-midi d’un faune de Mallarmé en 1865, L’art poétique de Verlaine écrit en 1874, Les Trophées publiés en 1893, le Parnasse, le Symbolisme français et belge, etc. – et la naissance du vers libre en 1886. C’est dire la richesse intellectuelle de ce moment qui vit en outre la fin du Second Empire, la guerre, l’occupation, la Commune, la naissance de la IIIRépublique, etc. Et le Coin de table, celui de Fantin-Latour, cent trente ans avant le nôtre.

     Florent Albrecht donne un bon exemple de ce bouillonnement avec l’influence du wagnérisme en France, et singulièrement auprès des poètes, dont certains firent le déplacement jusqu’à Bayreuth, tous intéressés par la musique (c’est l’époque des concerts Pasdeloup du dimanche) et par la recherche d’un art total. Il montre également comment le bergsonisme a pu accompagner la réflexion poétique. Il s’intéresse au fameux Coup de dés de Mallarmé, aux rimes de Verlaine, etc.

     Mais nos réflexions les plus vives viendront du vers libre naissant et de ses réussites du moment. Son ambition, c’est alors d’apporter plus de subtilité, plus d’harmonie, en quelque sorte plus de souplesse musicale à une versification qui se voulait déjà « déraidie » par les brisures hugoliennes et les finesses verlainiennes, une versification qui, par des cassures, des enjambements, des rejets multiples aussi bien que par des utilisations flottantes des vers de neuf et de onze syllabes, avait miné le vieux système de l’intérieur. Et le vers libre d’alors avait réussi ce miracle d’un chant délicat, tellement raffiné qu’il confinait, c’est vrai, au « décadentisme », voire, parfois, à la mièvrerie, mais avec beaucoup de charme. C’est un fait. Il le devait à une pléiade de vrais poètes à l’oreille impeccable : Henri de Régnier, Francis Viellé-Griffin, Maurice Maeterlinck, Stuart Merrill, Georges Rodenbach, Charles Van Lerberghe, Max Elskamp, Émile Verhaeren, Pierre Louÿs, etc. Une conjonction qui ne se renouvela pas. (Faisons un peu de poésie-fiction : ceux-là étaient poètes avant tout ; auraient-ils écrit uniquement en alexandrins, que leurs vers auraient été aussi parfaits…).

     C’est là que s’introduit notre réflexion personnelle et notre effarement devant l’entropie ayant frappé notre poésie. Comment cet instrument aussi flexible et subtil que le vers libre de la fin du XIXsiècle est-il devenu cet épouvantail ridicule de nos jours ? Comment ce bouquet de fleurs s’est-il transformé en manches à balais ? Cette couronne de lauriers en rouleaux de barbelés ? Cette fluidité musicale en gargouillis et borborygmes ? Ce concert de musiciens en hordes d’incompétents ? 

     L’étude de Florent Albrecht nous le confirme : à sa naissance, le vers libre fut une grande affaire, une immense remise en cause de notre système de versification ; aujourd’hui, après son agonie, c’est un cimetière infini de bétonneries.

     Ce livre n’en dit rien, ce n’est pas son sujet. Mais nous nous le demandons : la poésie peut-elle exister en dehors d’une structure de versification reconnaissable, sensible, perceptible, d’une satisfaction auditive d’un certain « ordre » verbal (à suivre ou à inventer) ? Peut-il y avoir une poésie de langue française sans la rime – comme se le demandait encore Verlaine ? Comment ne pas se le demander aujourd’hui ? Et pourtant, le charabia « libre » semble aujourd’hui un fait acquis pour tout le monde – sauf pour les lecteurs, qui depuis longtemps n’ouvrent plus un livre quand il est marqué du sceau répulsif « poésie ». Le mérite de cet ouvrage, c’est de nous conduire à ce genre d’interrogations, y compris celles qu’il aurait dût se poser. Par exemple : quelle liaison peut-il exister entre ce vers libre naissant, revendicateur de libertés, et celui qu’utilisait La Fontaine ? Il est temps aujourd’hui de se le demander ; car, après tout, au vers libre du fabuliste il ne manque que d’utiliser les mètres impairs pour se révéler très « moderne » – ou, plutôt, celui du XIXsiècle n’a-t-il fait qu’élargir le « classique » ? Tout cela n’était-il pas, déjà, en germe dans la tradition vers-libriste des fables, dont il suffisait de briser la coque en écoutant mieux la guenon de Florian ?

     On regrettera également que cet ouvrage soit un peu juste sur les rapports de la poésie, de la musique et de la chanson, en particulier avec la mélodie française. Il n’analyse pas le divorce français de la musique classique et de la chanson populaire, contrairement au lied allemand, illustré par Schubert et secrètement jalousé par les poètes français. Après tout, ce n’est pas pour rien que Gustave Kahn, l’un des inventeurs autoproclamés du vers libre, a écrit des Lieder . Le résultat, c’est la trahison de la poésie par la musique classique et la nostalgie des poètes pour la chanson. L’auteur écrit : « La réalité poétique de la chanson n’est perceptible que de l’extérieur, sans que l’on en apprenne davantage, finalement, sur la raison “poétique” de sa présence exponentielle dans les recueils à partir de 1850 ». L’une des raisons, poétique ou pas, c’est la recherche du succès populaire par des poètes, et les Chansons des rues et des bois ne font peut-être que prendre la suite de celles de Béranger pour obtenir un succès comparable. C’est ce que confiait aussi Verlaine : « Ça ne m’aurait pas déplu d’entendre chanter mes vers aux carrefours, quand la nuit tombe, sur une bonne musique – bien entendu ». Florent Albrecht ne rapporte pas ce propos car il n’a pas consulté l’indispensable Dictionnaire de la poésie française (Fayard), malgré une bibliographie de trente-deux pages, et il a eu tort, car ce regret verlainien est révélateur, de la même façon qu’il ignore manifestement Émile Blémont, ami de Verlaine et Rimbaud, fondateur et directeur de La Renaissance littéraire et artistique, une revue où il publia tous les poètes de son époque, premier traducteur des Feuilles d’herbe de Walt Whitman et donc premier à avoir introduit le vers libre en France, pour ne rien dire du Coin de table. C’est une faiblesse de ce livre se voulant « universitaire », mais qui n’est pas universel.

     On pardonnera à l’ouvrage quelques coquilles et dans certaines pages un méli-mélo des notes qui a dû désespérer l’auteur. Il achève quasiment son étude par une note qui résume ses préoccupations et son style : 

      Comment définir la poéticité d’un texte, et donc le principe de généricité fédératrice des arts, et non seulement de la critique, si la poésie ne se pense plus au sein d’une forme authentifiée par un langage, par une forme, selon un principe de reconnaissance formaliste : autrement dit, « tout » peut-il être poétisé ? si oui, « tout » peut-il être poésie ? C’est aussi cela le mystère d’un art moderne, rompu au mode musical, cherchant sa légitimité dans un repoussoir, en creusant son aporie essentielle… et en l’exhibant comme principe régissant tout espace de représentation poétique ? (note 1, p. 446). 

     Par ailleurs, on lui saura gré de citer des passages de quelques beaux poèmes, car les réponses aux questions ne se trouvent jamais que dans les œuvres.

 Jacques Charpentreau

 – Florent Albrecht, Ut musica poesis. Modèle musical et enjeux poétiques de Baudelaire à Mallarmé (1857-1897). Honoré Champion. Cartonné. 500 p. 115 €.

MAI 2021 : Prix Verlaine et Rimbaud


Le Prix Verlaine est attribué à Philippe Pujas

pour

 Comme passe le vent
aux éditions La Feuille de thé


Le Prix Rimbaud est attribué à Linda Maria Baros

pour 

La nageuse désossée
aux éditions Le Castor Astral

Prix Arthur Rimbaud

On dit que chacun porte en soi un poète qui meurt jeune. Maladie ? Suicide ? Assassinat ?

     Pour aider ce jeune poète encore vivant à se faire entendre, la Maison de Poésie a créé en 1991 le Prix Arthur Rimbaud était initialement réservé à un poète de 18 à 25 ans. Il n’est plus désormais tenu compte du discriminant lié à l’âge mais couronne une écriture novatrice, ancrée dans la modernité et révélant une personnalité forte.

     Dédié à la jeune création poétique, ce Prix a permis à des milliers de jeunes gens de s’exprimer par la poésie, et à ceux dont les œuvres avaient été retenues, d’être publiés dans des revues, des florilèges, des recueils collectifs ou personnels. Son succès a été prodigieux et continu, les manuscrits reçus en nombre considérable étaient apportés par sacs postaux déversés à la Maison de Poésie.

Plusieurs recueils ont été illustrés par de jeunes illustrateurs de l’École supérieure Estienne des arts et industries graphiques. Pendant près de 20 ans, ce Prix a été organisé par la Maison de Poésie-Fondation Émile Blémont en partenariat avec le Ministère de la Jeunesse qui a apporté le financement nécessaire à une organisation importante et assuré très efficacement sa diffusion en France métropolitaine et d’outre-mer, ainsi qu’à l’étranger. La Maison de Poésie a longtemps trouvé auprès de ce Ministère, de ses fonctionnaires, de ses responsables, un soutien efficace et constant au service des jeunes poètes, justifiant ainsi pleinement un titre variable (Ministère ou Secrétariat d’État), mais toujours au service de la jeunesse – quelle que soit la coloration politique du moment : Michèle Alliot-Marie, ministre RPR ou Marie-George Buffet, ministre communiste, ont chaleureusement présidé, lors de leur fonction ministérielle, la remise du Prix Arthur Rimbaud, tout comme les anciens champions Roger Bambuck et Jean-François Lamour, aux choix politiques différents.  

     Les uns et les autres ont aidé la jeune poésie vivante surgissant des villes, des banlieues, des campagnes, en France ou dans des pays de langue française – qu’ils en soient ici remerciés.

En mai 2007, le Ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports, dirigé par Roselyne Bachelot, regroupa ces diverses administrations. En janvier 2009, le Haut-Commissariat à la Jeunesse fut confié à Martin Hirsch. La Maison de Poésie fut avisée à l’avance, avec un délai de courtoisie, que le Haut-Commissariat allait arrêter sa participation au Prix Arthur Rimbaud. Celui de 2009 serait le dernier du partenariat entre l’administration de « la Jeunesse » et la Maison de Poésie. Ce serait donc le dernier florilège des jeunes poètes publié par la Maison de Poésie.

     La Fondation Émile Blémont ne pouvait malheureusement pas assurer seule la charge financière de ce Prix devenu « une institution », comme on dit de façon flatteuse, mais correspondant à la réalité de son succès. Elle ne peut pas non plus lui assurer la large diffusion nécessaire.

     A cette date, la Maison de poésie déclarait : « Des voix doivent se taire : la poésie n’appartient plus aux priorités de l’administration qui a encore changé de titre pour être aujourd’hui le « Ministère de la Jeunesse et des solidarités actives », confié à Marc-Philippe Daubresse. Cet abandon est celui d’une époque, la nôtre, qui préfère la fameuse « Société du spectacle » à l’expression intime et personnelle. Aucun mécène ne s’est manifesté pour reprendre le Prix Arthur Rimbaud qui disparaît en laissant tout de même une quinzaine de recueils, comme la trace étincelante d’une comète de ce qui fut « la jeune poésie » de ces voleurs de feu d’un aujourd’hui qui devient hier, dans le sillage du génial adolescent que le Fondateur de notre Maison de Poésie, Émile Blémont, avait fait asseoir avec son ami Paul Verlaine, au Coin de table de la Poésie.  » MAIS c’était sans compter sur la ferveur et la volonté de son président Sylvestre Clancier qui, plusieurs années après, a décidé que la prix Rimbaud devait renaître – même si le prix n’est plus enrichi par l’édition d’une anthologie de jeunes poètes.

Aperçus du Palmarès du Prix Arthur Rimbaud

1991. *Jean-Luc Despax, Grains de beauté.

1992. Aymeric Le Delliou, À la Billebaude.

1993. Colette Gevers, Croissance.
Mentions : Joseph Bernier, Mitiely. Yves-Ferdinand Bouvier, Poèmes à croquer.

1994. Hélène Bourg, Nuit d’encre.
Mention ; Jérôme Prévost, Caromantique.

1995. Zohra Karim, Les amours d’une peste. Isabelle Larpent, Les Cafés de Paris. Serge Ravennes, À la mort et aux étoiles.

     Florilège : * La Fleur de l’âge.

– 1996. Marie-Anne Bruch, Tableautin.

1997. Cécile Bétouret, Le Réel absolu.

      Florilège : *Le Point du jour.

1998. *Bertrand Suarez-Pazos, Vers des espoirs.

1999. Julien Dolidon, Arlequin en noir et blanc.

      Martin Laquet, Les Dés du temps n’ont qu’une face.

      Florilège : *Printemps pour un nouveau siècle.

2000. Frank Orsoni, Les Rires de larmes.

     Florilège : *« Cela s’appelle l’aurore ».

2001. Nicolas Bousquet, Terres amères.
 Mentions : Stéphane Isselin, Prénoms obsessions. Maxence Przyborowski, Les Récits de nulle part.

     Florilège : *Les jeunes poètes font le printemps.

2002. Christophe Goarant, D’impressions textuelles en poèmes cyraniques.

      Florilège : *Le nouveau printemps des jeunes poètes.

2003. Marc-André Allard, Rerum novarum (Les choses nouvelles).

      Florilège : *Le vert laurier.

2004. Nicolas Pavée, Carnet de voyage.

      Florilège : *Primevers.

2005. Flore Tilly, Morceaux d’hirt.

      Florilège : *Cœurs en feu, cœurs en fête.

2006. Benjamin Terral,

     Florilège : *Rimbaud 006.

2007. Cédric Bertolino,

     Florilège : *Rimbaud 007.

2008. Aliénor Gauthier,

     Florilège : *Rimbaud 008.

2009. Amélie Nicolas, Esquisses.
Mentions : Camille Bonneaux, D’âme et de boue. Romain Monsifrot, Désubstanciation. Anna Ayanoglou, Prémices.

Florilège : *Rimbaud 009.

* Ouvrages publiés par la Maison de Poésie.

Prix Philippe Chabaneix

     – Le Prix Philippe Chabaneix est réservé à un ouvrage de critique ou d’histoire de la poésie. Il comprend aussi l’ancien Prix Léon Riotor.

Le poète Philippe Chabaneix, (1898-1982) Administrateur de la Maison de Poésie, animateur de la librairie Le Balcon, Grand Prix littéraire de la Ville de Paris, tenait des chroniques de poésie en diverses revues (Le Mercure de France, La Revue des Deux-Mondes). Ce Prix a été décerné à Béatrice Marchal qui a révélé et publié un ensemble de poèmes d’amour de Cécile Sauvage.

Béatrice Marchal

          L’intérêt de Béatrice Marchal pour cet auteur assez méconnu, auquel elle a consacré sa thèse de doctorat, puis deux livres, a permis de mettre en lumière toute une partie de l’œuvre de Cécile Sauvage (1883-1927), œuvre jusque-là tronquée, sinon légèrement faussée.

          Les Écrits d’amour, titre d’un ouvrage pour lequel la lauréate est couronnée, exhument en effet tout un volet de cette œuvre,  que la famille,  pour des raisons d’honorabilité, avait tenu sous le boisseau. Il s’agit de poèmes en vers et en prose qu’avait inspirés à la poétesse une liaison adultère, et dont les accents sont passionnés. Le déjà long intérêt de Béatrice Marchal pour la poésie de Cécile Sauvage a fait que la famille lui a confié ces manuscrits en 2003. Elle les a établis, présentés et annotés dans son livre.

          Tout ce qu’elle a vécu, Cécile Sauvage l’a éprouvé d’une manière ardente, extrême : la maternité, la passion amoureuse, le mysticisme, et, à la fin de sa vie, une lente consomption dans la mélancolie. Son œuvre, sa personne se sont en quelque sorte prolongées en son fils, le compositeur Olivier Messiaen. Elle l’a introduit à la musique, l’éveillant aux chants des oiseaux, à la beauté des fleurs, l’intriguant aussi par ce silence qu’elle gardait sur sa vie intime, un silence dévorant qu’en fils aimant, il a apprivoisé par la musique.

          Tout cela, Béatrice Marchal l’a très bien expliqué dans ses livres, qui révèlent une maîtrise parfaite du sujet, une grande finesse de sensibilité et un style remarquable.

Jean-Pierre Rousseau

Jean-Pierre Rousseau présente Béatrice Marchal
En arrière plan : Daniel Sauvalle
Photographie de Elizaveta Zhuravleva

Et c’est nous qui sommes la vie,
La nature fleurit par nous,
De ton rêve, de ma folie,
Du tremblement de nos genoux.
Elle, qu’est-elle ? Un lieu de sable
Où des végétaux ont poussé
Entre les maisons, les étables
Sous un peu de ciel caressés.
Mais nous qui nous sentons mourir
Et vivre et fleurir bouche à bouche…

Prière

*

Sur le lit plein de ton parfum
Je vais dormir comme en tes bras
Et revivre encor tes caresses,
Te retenir nu contre moi,
Sentir tes formes sur les miennes
Et ton désir lourd et tremblant
Grelotter de fièvre à mon flanc.
J’aurai faim de ta chair vivante,
J’aurai ta vie entre mes bras.

id.

*

Ton désir est le fruit qui seul peut m’apaiser,
J’ai faim, donne-le moi que je morde au baiser,
C’est pour la faim du fruit, hélas! que je suis née.
Il est fait pour mon sang, il est fait pour mes lèvres,
Ma bouche l’a choisi, mon sang tremble de fièvre,
Ton corps est le fruit lourd qui doit combler mes bras,
Viens dans mes bras, mon âme à ton âme tout bas.
Viens, une joie ardente et triste me pénètre,
Ne dois-je pas trouver mon âme dans ton être,
Mon sein n’est-il pas fait pour ta bouche d’enfant.
Tu m’appelles, je viens, le chemin de ton sang
Est en moi, tout mon être est soumis à ta vie.

id.

*

Mais je suis belle d’être aimée,
Vous m’avez donné la beauté,
Jamais ma robe parfumée
Sur la feuille ainsi n’a chanté,
Jamais mon pas n’eut cette grâce
Et mes yeux ces tendres moiteurs
Qui laissent les hommes rêveurs

Et les fleurs même, quand je passe.

Primevère

Grand Prix de poésie

Le Grand Prix de Poésie, décerné tous les deux ans, en alternance avec le Prix Louis Mandin, regroupe les anciens Prix Émile Petitdidier (du nom du Fondateur de la Maison de Poésie), les Prix Paul Damarix, Fernand Dauphin et Maurice Du Plessy. Ce Grand Prix récompense l’ensemble d’une œuvre.

En 2010, le Grand Prix de poésie a été attribué à Jean-Claude Pirotte pour l’ensemble de son œuvre, à l’occasion de la publication de son recueil Le Promenoir magique et autres poèmes (La Table Ronde). 

Jean-Claude Pirotte

     Jean-Claude Pirotte est Belge, il est né à Namur dans les Ardennes, en octobre 1939, il a donc soixante-et-onze ans ce mois-ci. Il a été avocat, il a quitté la Belgique en 1975 pour y revenir en 1981. Il a vagabondé (« ce n’est pas Jean-Sébastien / qui m’a appris l’art de la fugue », dit-il), même très jeune, à douze ans au Danemark, aux Pays-Bas, puis en France, en Italie, en Espagne, en Suisse aussi. Et il écrit une cinquantaine de livres, des recueils de poèmes, des souvenirs, quelques romans. Il est également peintre.

     La publication par les Éditions de la Table Ronde d’une grosse anthologie de 920 pages, Le Promenoir magique et autres poèmes qui réunit des poèmes écrits de 1953 à 2003 – un demi-siècle – confirme que nous avons bien à faire à une œuvre déjà importante, qui justifie ce Grand Prix.

Le chant

     Ce qui séduit avant tout dans l’œuvre de Jean-Claude Pirotte, c’est le chant de la poésie française. Voilà des poèmes qui ne sont pas de la prose saucissonnée. On y entend une voix personnelle qui nous touche, nous charme, souvent nous enchante, une voix qui parle dans cette langue des vers qui existe chez nous depuis plus de mille ans.
aux temps obscurs de mes enfances
quand glissaient les serpents du soir
et que pleuraient dans les soupentes
les servantes aux lèvres noires
sous la neige des lunes blanches
qu’arrivait-il à ma mémoire
aux temps obscurs de mes enfances
quelle marâtre ou quelle amante
s’emparait comme d’un heurtoir
de mon cœur sans destin notoire
quand glissaient les serpents du soir

(La boîte à musique)

     C’est un chant qui n’a pas d’âge, dont on peut dire qu’il est celui de toute la poésie française, mais que tout le monde ne possède pas, et qui semble se transmettre de poète à poète. Aucun poète n’est jamais sorti de rien. Jean-Claude Pirotte se reconnaît de nombreux grands ancêtres, parmi ceux qu’il appelle des « veilleurs » (c’est le titre d’un chapitre de son recueil La boîte à musique). En voici quelques-uns, qu’on rencontre au fil de ses poèmes :

Francis Carco Mortefontaine
les chemins ne vont nulle part
feuilles mortes mortes semaines
traces de pas qui reviennent
sans cesse au lieu du départ

(Amorces)

*

Lire Nerval et mourir

(Amorces)

*

Max Jacob il souhaitait
s’ennuyer comme la Loire

(Les cahiers et les poésies d’Ange Vincent)

*

Quand je lisais Laforgue, Jules
dans le bistrot de mes quinze ans
auprès des digues du Betuwe
le temps passait si lentement

(Les cahiers et les poésies d’Ange Vincent)

*

Je lis Tristan Derème
et rien ne me distrait
la vie est un poème
qui se conserve au frais…

(Les cahiers et les poésies d’Ange Vincent)

*

Je lis Réda Thomas Dhôtel
Jaccottet Follain quelques autres
amis dont je n’aurai jamais
pu tenir les mains dans les miennes

(La Vallée de Misère)

*

Artaud je vois autour de toi
Adamov Henri Thomas
le fragile Prevel aussi
et je te vois rôder toi-même
autour de ce déchirement de toi

(La Boîte à musique)

     Et beaucoup d’autres, Rutebeuf, Ronsard, Vauquelin de La Fresnay, Gautier, Apollinaire, André Frédérique, Armand Robin, Pierre Reverdy, Francis Jammes… Une superbe lignée, où le plus fréquemment et le mieux évoqué est celui dont se rapproche le plus la poésie de Jean-Claude Pirotte :

Centenaire ignoré

l’humble professeur d’anglais

sous son cache-nez de laine
effrangé c’est bien Verlaine
or j’ai surpris son reflet
dans l’eau verdâtre de l’Aisne
pion barbu pensif et laid
et solitaire il allait
précédé de son haleine
de vin morne il titubait
en marmonnant des musiques
un soir de feutre plombait
les lointains mélancoliques
dont la langueur surannée
demeure après cent années.
(La vallée de Misère)

      Il y a encore beaucoup d’autres « veilleurs » auxquels Jean-Claude Pirotte rend hommage, jusqu’à en faire la substance même d’un poème, tissant les noms et les époques dans une même étoffe du temps :

en lisant Olivier de Serres
Tardieu Ronsard Jouve Joubert
Paulhan Dumay Cliff Voragine
Fallet Villon La Tour du Pin
Verlaine Pline Armen Lubin
bref tous ceux qui dans ma cantinede lecteur font mon ordinaire
Bachelard Montaigne Follain
Dhôtel Grosjean Thomas Beucler
Arland Jaccottet Larbaud Fargue
et Brauquier qui fut subrécargue
et tant et tant de voix intimes
sans oublier Raymond Queneau
J’ai composé cette ode à l’eau-
de-vie des cerises opimes
(Fougerolles)

     Ce chant qui nous est transmis par toute cette tradition ancienne ou récente, c’est d’abord cela, la poésie :

laissez reposer les poèmes
laissez-les sous le torchon
afin que la pâte lève
et qu’elle craquelle à souhait
vous entendrez le chant peut-être
un chant discret mais entêtant
de la croûte qui dore en secret
feignant de dormir seulement
avant de s’éveiller au feu
du précieux fourneau des ancêtres
qui l’hiver réchauffait les vieux
les mendiants et les poètes(Les cahiers et les poésies d’Ange Vincent)

Ce que cherche à dire la poésie

      La deuxième raison d’aimer la poésie de Jean-Claude Pirotte, c’est son romantisme. Sous sa musique, on entend la mélancolie profonde de la vie, comme chez Verlaine, comme chez Mozart. Le chapitre qu’il a nommé « La leçon de musette » se trouve justement dans son recueil La vallée de Misère. La deuxième raison de notre attachement à sa poésie se trouve en nous comme en lui, dans cette irrépressible nostalgie d’une autre chose, une chose que cherche à dire la poésie. Car nous sommes tous, comme Jean-Claude Pirotte, les héritiers du Romantisme.

     La nostalgie, notre nostalgie,  est toujours présente dans sa poésie. Elle renvoie, évidemment, à l’enfance à jamais perdue.

L’enfant que je fus
a perdu ses ailes

(Les cahiers et les poésies d’Ange Vincent)

*

l’enfance et l’éternité
sont peut-être synonymes
comme l’hiver et l’été
comme le ciel et l’abîme
c’est ce qu’il préfère croire
l’enfant du fond de la classe
qui pressent les longs déboires
de la vie et du langage

(Les cahiers et les poésies d’Ange Vincent)

      Nous savons que l’enfance est l’un des thèmes majeurs de la poésie contemporaine et peut-être comme l’image même de ce que le poète cherche à redevenir. Car si nous ne sommes pas comme de petits enfants, disait l’Évangile, nous ne connaîtrons pas le Royaume de Dieu. Ou plus simplement : la poésie. Un Romantisme, sans doute, mais qui s’interroge sur sa propre nostalgie et sur l’objet même de sa quête de poète.

les nuits les nuits quel fantôme
m’appelle est-ce dans ma chambre
ou ce cri vient-il du fond
de mes années d’enfance
il n’y a qu’un exil une épreuve
pareille et sans cesse nouvelle
et la voix qui répète le mot
dont j’ignore le sens je l’épelle
ce mot à jamais incompris
mais un matin peut-être
juste avant le lever du soleil
ce sera le cri de l’oubli
(Les cahiers et les poésies d’Ange Vincent)

     Cette poésie rend sensible le déchirement qui est en nous, l’impression d’être hors d’un monde de plus en plus cancérisé par le profit et la violence, alors que le temps nous ronge.

en moi chaque jour
je tue un peu de moi
oh pas grand chose
un souffle indécis
un pétale de rose
(pourrais-je dire)
un battement d’aile
un écho souterrain
un début de chanson
comme un rayon de lune
à travers une vitre
opaque un vieux parfum
dans un flacon perdu
le sentiment à peine
exprimable d’avoir
égaré l’essentiel

(Les cahiers et les poésies d’Ange Vincent)

      Nous retrouvons ici la solitude qui était déjà celle du poète romantique et qui est toujours la nôtre aujourd’hui avec ce mouvement de bascule entre « solidaire » et « solitaire », que montrait Albert Camus. Albatros ou vieux chien, fier ou résigné, le poète est toujours à part.

il y a toujours ce vieux chien galeux
qui passe à la même heure seul
et qui semble trembler de peur
ne vois-tu pas comme il te ressemble

(Les cahiers et les poésies d’Ange Vincent)

*

la solitude est là
si je me regarde
si je me retourne
elle tend sa bourse
vide et me fait du plat

(Les cahiers et les poésies d’Ange Vincent)

     On sent bien que dans notre société mercantile, le poète est plus que jamais un « homme séparé ».

la poésie n’est pas une affaire d’hommes
ni de femmes ni de chiens
ni d’ânes ni d’artistes
ni de poètes
la poésie n’est pas une affaire
(Les cahiers et les poésies d’Ange Vincent)

     Voilà donc quelques-unes des raisons de notre choix qui vise à attirer un peu plus l’attention sur une des rares œuvres poétiques réelles de notre époque, celle d’un poète capable d’une saine auto-dérision qui ne nous déplaît pas non plus, alors que tant de pseudo-poètes sont aujourd’hui bouffis de suffisance.

je n’écris pas comme cestuy-
là qui triture le langage
et le désosse et le réduit
et le conchie plaisant outrage
je n’écris qu’avec une plume
et de l’encre sur du papier
vieux marteau désuète enclume
armes de poète pompier

(La vallée de Misère)

     Il suffit d’écouter la poésie de Jean-Claude Pirotte où passent ses « fantômes familiers », pour y trouver encore mille et une autres raisons de l’aimer.

je ne parlerai qu’à voix basse
à mes fantômes familiers
et de nos pas dans les allées
incertaines du vieux vieux temps
nul ne pourra suivre la trace
les reflets au bord des étangs
de nos misérables carcasses
s’évanouissent comme passent
les frêles amours les nuées
les étincelles de la grâce
je ne parlerai qu’à voix basse
et le cœur à peine battant
à mes ombres dépossédées
par le mirage des années
incertaines du vieux vieux temps.
(La Boîte à musique)

Jacques Charpentreau

Recueils cités :

Amorces, 1953-1957. Inédit.

Les cahiers et les poésies d’Ange Vincent. 1955-1972. Inédit.
La vallée de Misère. Cognac, Le Temps qu’il fait, 1987. Réédition, 1997.
Fougerolles. Dijon, Éd. Virgile, 2004.
La boîte à musique. Paris, La Table Ronde, 2004.
Réunis dans Le Promenoir magique et autres poèmes, 1953-2003. La Table Ronde, 2010


La Poésie française 100 ans après Apollinaire

La Poésie française 100 ans après Apollinaire

Kaléidoscope
50 poètes – 50 styles

L’Anthologie : La Poésie française 100 ans après Apollinaire

Anthologie publiée en 2018 et réunissant des poètes de sensibilités différentes, mettant en valeur les différentes voix de la poésie contemporaine :
Gabrielle ALTHEN, Françoise ASCAL, Linda Maria BAROS, Gilles BAUDRY, Claude BER, Claudine BOHI,
Marie BOTTURI, Yves Jacques BOUIN, Marie-Anne BRUCH, Valérie CANAT de CHIZY, CHAUNES, Sylvestre CLANCIER,
Francis COMBES, Françoise COULMIN, Daniel CUVILLIEZ, Jean-Luc DESPAX, Jean-Charles DORGE, Myriam ECK,
Gabriel FABRE, Paul FARELLIER, Mireille FARGIER-CARUSO, Daniel FILLOD, Christine GUENANTEN,
Jean-Albert GUENEGAN, Denis HAMEL, Jean HAUTEPIERRE, Lionel JUNG-ALLEGRET, Colette KLEIN,
Christian LABALLERY, Mélanie LEBLANC, Jean LE BOËL, Béatrice MARCHAL, Jean-Luc MOREAU,
Cécile OUMHANI, Etienne PAULIN, Serge PEY, Marc-Louis QUESTIN, Clara REGY, Tita REUT,
Germain ROESZ, Jean-Pierre ROUSSEAU, Marie-Henriette RUAULT,
Etienne RUHAUD, Paul SANDA, Tina SCHAEFER, Ariel SPIEGLER,
Frédéric TISON, Sabine VENARUZZO, Robert VIGNEAU, YEKTA.

En 2018, ce nouveau siècle, le 21ème, entre dans sa majorité. A la Maison de Poésie, il nous importait, un siècle
après la mort prématurée d’Apollinaire, le 9 novembre 1918, de faire le tour de la maison commune
afin de recueillir et de faire connaître ce qui s’écrit aujourd’hui de façon libre, sincère et authentique en poésie.
(…)
[Les] sept poètes du Conseil, artisans avec elle [Françoise Coulmin, le maître d’œuvre] de cette anthologie progressive,
de sélectionner deux poètes qui à leur tour ont eu à choisir deux autres poètes.
(…)
Encouragés par de nombreux poètes de qualité ne figurant pas dans la présente anthologie, nécessairement non exhaustive,
comme le sont en fait toutes les anthologies, nous envisageons d’ores et déjà d’établir pour notre centenaire,
dans dix ans, une nouvelle anthologie de la poésie française, selon un principe progressif comparable à celui adopté ici.

Extraits de la préface de Sylvestre Clancier.

Prix Paul Verlaine

En 2010, le Prix Paul Verlaine a été attribué à Jacques Bertin pour son recueil Blessé seulement (L’Escampette).

Le Prix Paul Verlaine est attribué à un recueil de poèmes. Il regroupe aujourd’hui plusieurs anciens Prix, (Pierre Louÿs, Gabriel Vicaire, Charles Péguy) dans le soucis de ne pas multiplier et donc banaliser les distinctions pour attirer l’attention sur un poète.

Jacques Bertin

      En décernant son prix Verlaine 2010 à Jacques Bertin pour Blessé seulement (recensé dans les « Pages de garde » du  numéro 43 du Coin de Table), la Maison de Poésie entend mettre à sa juste place une œuvre dont les auditeurs ne perçoivent pas toujours toutes les facettes. Chanteur, oui, bien sûr, Bertin l’est et le demeure, mais dès son premier disque, en 1967: « On se croit un peu poète », avouait-il, prouvant du même coup, par ses textes, qu’il était bien, comme Charles Trenet, comme Georges Brassens, beaucoup plus qu’un simple interprète. Allaient le confirmer, publiés parallèlement à la vingtaine de titres de sa discographie, plusieurs recueils de « poèmes et chansons ».

     Dans l’avant-propos du second, Dans l’ordre (1978), nous lisons :

     Je suis venu de la chanson à la poésie. Peut-être cela paraîtra-t-il à quelques chroniqueurs littéraires le signe d’une faiblesse congénitale. Mais mes origines sociales m’avaient porté à l’exercice de cet « art populaire ». Aujourd’hui j’en ai découvert la grandeur.

     Son art poétique, à bien y regarder, nous le trouvons là aussi :

     Les chansons, par définition, sont faites pour être chantées. C’est-à-dire que l’agencement des mots y est fonction de l’oreille. Au moment de transcrire, l’auteur découvre comme un carcan les lois de l’écriture. Faut-il mettre tel mot au pluriel ou au singulier ? Ce verbe doit-il s’accorder avec ce sujet ou plutôt avec cet autre situé plus haut ? Dois-je mettre un point ici, et là un point-virgule ? Partout, il faut choisir et enlever du sens. La transcription appauvrit considérablement la chanson. Les pauvres gens qui méprisent ce qu’il faut bien appeler la poésie orale ignorent combien l’univers de la parole vivante est plus riche que celui de la parole mise sous presse.

     Remplacez dans ce texte « chanson » par « poème », tout reste juste. Paroles sans musique, les poèmes de Bertin sont faits pour être  dits comme ses chansons pour être chantées. Chanson et poème ne sont en fait, chez lui, que deux aspects d’un même texte :

Louvigné-du-désert arrêtons-nous nous irons boire
Dans un petit café ouvert aux premiers froids de ma mémoire
Aux amis évanouis, déjà perdus parmi les ombres
À ceux que j’aimais tant je crois et que j’ai oubliés
J’inviterai quelques poètes pour faire un bel enterrement
Quelques octosyllabes et je suis seul pour arroser l’événement
Nous nous raconterons l’histoire en parlant un peu lentement
Du temps qui s’en va de l’oubli qui devant nous fait la musique
Et puis nous nous contenterons de peu de choses : un peu de vin
Un mot qui frôle l’herbe du soleil et c’est en vain
Je n’ai d’amis que les poètes et je m’en reviendrai chez moi par les chemins
Comme une cigarette éteinte rallumée et qui s’éteint.

     Poème ou chanson, l’inspiration est large, variée, généreuse. Parfois militante, elle se charge d’indignation, de révolte :

La misère, on l’avait crue morte à force de se montrer à soi-même l’artifice
On l’avait envoyée pourrir dans les banlieues
Loin. On allait la visiter en club dans de beaux pays exotiques
Avant de remonter lourd comme après boire vers la lumière
On parlait de la pauvreté comme d’une catégorie esthétique
La misère, voilà qu’elle se dresse et vous jette sur les routes
Pour la grande scène de l’exode qui cette fois finira mal

     Homme de l’Ouest, d’ascendance bretonne, Bertin, après quelques détours par Lille (et l’École de journalisme), par Paris (où il vécut longtemps et se produisit dans les plus grandes salles), par le Canada  (qui l’accueillit à bras ouverts et lui inspira un beau roman), a retrouvé ses racines en Anjou, à Chalonnes-sur-Loire, dont les paysages, en filigrane, se devinent dans ses poèmes :

Ne t’en fais pas pour l’ombre ni pour la patience
Elles progresseront ensemble avec le temps
Ni l’or à quoi le beau soir dénudé ressemble
Et qui semble parfumer le pays d’encens
Ne t’en fais pas. Tout vient à son temps, à son heure
L’oubli viendra, comme un messager des lointains
Ailleurs s’étrangle à nouveau le cor du sonneur
Annonçant des rémissions proches. Tout est vain
Tout est vain : on ne voit plus, qui blessaient les vignes
Ces routes tracées dans la chair vive au couteau
Juste une buée montant des souffrances, on devine
Mourant, les formes féminines des coteaux
Avec le temps, les trahisons, les espérances
Qu’en reste-t-il ? Le parc oblique vers la nuit
Rentre, serrant sous ta veste ton peu de science
Tout vient à son heure, et le pardon de la pluie
Tout fut-il donc dépensé pour rien ? Tu protestes
L’escalier geint. Ce soir, personne ne t’attend
Dans le noir tu parcours ta galerie de gestes
Le fardier d’insomnie s’ébranle pour cent ans
Ne t’en fais pas. Toute chose à la fin fait cendres
Même l’oiseau dont les braises brillent encore
Et, dans la nuit sans oubli où tu vas descendre
Son aile implorante frémit, dans le décor

     On ne s’étonne pas, à lire de tels vers, que leur auteur se sente proche d’Apollinaire, de Milosz, de Chaulot, de Bérimont, de Cadou…

     Blessé seulement, ne porte en sous-titre qu’un seul mot : poèmes. Un pluriel qui pourrait être là encore un singulier, car ces fragments, avec leurs brisures, leurs silences, leurs inachèvements, ne forment qu’un seul chant de deuil et de rage. Deuil de la jeunesse, deuil surtout d’un amour trahi :

je ne parle plus à personne
de l’incendie de la maison
ni de la blessure en plein front
je me tais sur le temps profond
sur le rythme et l’étrange son
de la cloche noyée au fond
qui dit : rien ni le temps ne compte
– elle sonne on ne l’entend pas –
et je cultive sous mes pas
les fleurs d’un  indicible automne
et je me tais tandis qu’au loin
ou au fond une cloche sonne

     La musique est souvent, comme ici, celle de l’octosyllabe, rimé ou assonancé, celle de l’alexandrin aussi, avec des passages au vers libre, des glissements vers la prose, à peine marqués çà et là d’un signe de ponctuation, sans majuscule au début du vers, comme pour mieux refuser les conventions de l’écrit.

     Le recueil comporte trois parties d’inégale longueur. Aux quatre-vingts pages qui en forment le corps succèdent sept pages de « poèmes d’avant retrouvés dans les décombres après l’explosion ». Confidences ? Méditation ? Bilan ? Traversés de souvenirs, d’inquiétudes, d’interrogations, moins fragmentaires que ceux « d’après » (la classique majuscule à l’initiale des vers y est encore présente), ils s’achèvent – s’achevaient ! – sur une affirmation et une promesse: « J’aime. J’aimerai ».

     Le recueil se clôt sur une coulée d’octosyllabes véhéments, véritable condensé de tout ce qui précède, comme le confirment son titre et son constat final : « blessé seulement ».

     Bref, une poésie humaine, sincère, qui n’a que faire de la glose et de la mode; la poésie que nous aimons; celle qui vous parle et vous va droit au cœur.

Jean-Luc Moreau

Daniel Sauvalle, Jean-Luc Moreau, Jacques Bertin
© Elizaveta Zhuravleva

Jacques BERTIN : éléments de bibliographie

Prose

Chante toujours, tu m’intéresses (ou les combines du show-biz). Éditions du Seuil (Collection « Intervention ») (1981).
Félix Leclerc, le roi heureux (Biographie). Éditions Arléa-Éditions Boréal (Québec) (1987) + texte sur anniversaire de la ville de Québec.
Du vent, Gatine ! (Un rêve américain). Éditions Arléa (1989).Une affaire sensationnelle (roman). Éditions Le Condottiere (2008). Amours d’Edmond, de Léonie, Bonnie and Clyde angevins,  et une évocation de la Loire.

Filmographie

René Guy Cadou, de Louisfert à Rochefort-sur-Loire. Un film de Jacques Bertin. Réalisation : Annie Breit. DVD Éditions Velen.

Poésie

Plain-chant, pleine page (Poèmes et chansons 1968 – 1992), avec Pierre Veilletet. Éditions Arléa (1992).
Blessé seulement (Poèmes inédits, préfacés de Lionel Bourg). Éditions L’Escampette (2005)
Jacques Bertin chanté par Jacques Bertin aux éditions EPM dans la collection Poètes et chansons (2003).

Jacques Charpentreau

Jacques Charpentreau est né le 25 décembre 1928 aux Sables d’Olonne (Vendée).

  Il a été instituteur, puis professeur de Français.

   Marié. Trois enfants.   Son œuvre d’écrivain compte une trentaine de recueils de poèmes, une dizaine de volumes de contes et nouvelles, trois dictionnaires, deux livres de traductions poétiques, trois pamphlets, une quinzaine d’essais. Il a rassemblé une quarantaine de florilèges poétiques.

   Il a dirigé diverses collections de poésie (Enfance heureuse, Éditions ouvrières; Pour le Plaisir, EVO; Fleurs d’encre, Hachette, Livre de Poche Jeunesse) et des collections de disques au Studio SM.     Il a été élu administrateur de la Maison de Poésie-Fondation Émile Blémont en 1987, Président en 1989.

     La poésie de Jacques Charpentreau s’est développée en dehors de toute chapelle, privilégiant le plaisir du lecteur, le chant, le rythme, sans jamais s’enfermer dans un système. Elle a reçu plu­sieurs Prix littéraires (Prix Dumézil de l’Académie française, Prix de la Fondation de France, Grand Prix de la Société des Poètes Français, Prix de la Société des Gens de Lettres, Prix À Cœur Joie, Prix de la Maison de Poésie, de la Société des Amis d’Alfred de Vigny, Collégiens Les Veilleurs de mots, etc.) – et le Grand Prix de Poésie de la SACEM (Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique) en 2002.

 Ses poèmes ont souvent été mis en musique, notamment par :     François Barré, Edgar Cosma, Harry Cox, Gaston-Wiener, Anthony Girard, Christian Gouinguené, Max Pinchard, Germinal Salvador, S. Verbrackel  (musique classique);     Jo Akepsimas, Anthonioz-Rossiaux, Michel Aubert, Claude Antonini, Raymond Arvay, Michel Bernard, Jacques Bienvenu, Leda Bœller, Denis Caure, Pierre Castellan, Bruno Clavier, François Corbier, Jacques Douai, Joël Favreau, Jean Humenry, J. Laroche, Mannick, James Ollivier, Jean-Marie Ployé, Max Rongier (variétés).

      Beaucoup de ses poèmes sont devenus des « classiques » – au sens littéral du mot : ses poèmes se retrouvent dans de nombreux livres et manuels scolaires, en France et à l’étranger.
     Sa poésie est traduite en plusieurs langues, jusqu’en Russie, en Chine, au Japon.     Sa poésie personnelle, ses ouvrages de réflexion et les poètes qu’il fait connaître par ses col­lections ont contribué à modifier largement le paysage poétique de notre époque, particulière­ment dans les établissements scolaires, en France et dans les pays francophones.     Il fait partie des « Poètes contemporains » dont l’étude a été recommandée par le ministère de l’Éducation Nationale parmi « Les œuvres classiques ».Le groupe scolaire de Saint-Hilaire-des-Loges (Vendée) a pris le nom de

« Groupe scolaire Jacques Charpentreau » en octobre 1996.

Jacques CHARPENTREAU
avec Hélène CADOU

« S’il est une poésie qui coule de source, c’est bien celle de Jacques Charpentreau » (Hélène Cadou).*

      « Charpentreau appartient à cette race de poètes qui ne se complaisent ni dans l’obscurité ni dans l’informe ni dans l’ellipse. Pour lui, le poète doit nommer les êtres et les choses, susciter une émotion, créer des images, un rythme, une musique » (Jean Orizet, Le Figaro-Magazine).

*     « La première vertu de la poésie, pour Jacques Charpentreau, c’est d’être lisible. Lisible par tous et à tous les niveaux. […] À ceux qui protesteraient contre la volonté de rendre la poésie à un plus large public et d’en faire une espèce de bien populaire, Jacques Charpentreau réplique avec une courageuse impertinence en retournant à son bénéfice une fameuse formule ducassienne : La poésie doit être faite pour tous est non pour un » (Pierre-Olivier Walzer).  

Avec Pierre-Olivier WALZER

   « Son œuvre personnelle marque son penchant à un art qui privilégie le ton direct, la fantaisie, le clin d’œil complice au lecteur, avec des images, des rythmes, de l’humour, une touche de Prévert, un rien de chansonnier tandis que d’autres poèmes affirment ses convictions sociales et politiques (…), un regard où la planète devient amicale » (Robert Sabatier, Histoire de la Poésie française. La Poésie du XXe siècle).

*

      « Les lecteurs de Jacques le joueur de mots savent bien que de ses livres enfantins à ses livres d’âge mûr les mots ne se privent pas de faire la cabriole, de jouer à saute-mouton et à pigeon vole, et de faire la nique aux agents de la circulation qui voudraient imposer à la poésie des sens interdits » (Claude Roy).

Avec Claude ROY

  « Dans le concert souvent discordant de la poésie contemporaine, sa voix est une de celles qui chantent le plus juste » (Robert Houdelot).

Avec Robert HOUDELOT

 « Un poète qui sait allier la modernité d’un futur et la tradition d’un passé, l’art de penser et le chant léger, le pur et le populaire, la métrique et la mystique, et, dans le rêve incarné et sublimé, les enfants de tous les âges que nous restons devant un monde humain et divin: mystère au quotidien » (Jean Bancal).

*     « Les poèmes, les mots de Jacques Charpentreau n’en finissent pas d’enchanter » (Andrée Chedid).    *

 « Toute la poésie de Jacques Charpentreau est une quête de la simplicité » (Luce Guilbaud).

*     « Même lyrique, le poète qui écrit pour les enfants regarde le monde avec leurs yeux. Cette qualité est constante en l’œuvre pour adultes de Jacques Charpentreau » (Mikhaïl Yasnov, Saint-Petersbourg, Russie).  

Avec Mikhaïl Yasnov, traducteur de ses poèmes, à Saint-Pétersbourg.

*

      « À travers son lyrisme et son espérance, sa voix retentit dans nos cœurs » (Jiang Huo Sheng, Wuhan, Chine).

Le Coin de table

Le tableau d’Henri Fantin-Latour, Coin de table (1872), met en scène :
Assis : Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, Léon Valade, Ernest d’Hervilly, Camille Pelletan.
Debout : Pierre-Elzéar,  Émile Blémont, Jean  Aicard.

     C’était Émile Blémont qui avait réuni ces jeunes poètes, à la demande du peintre. Verlaine et Rimbaud lui en furent toujours reconnaissants. Rimbaud lui fit don du manuscrit original de son Sonnet des voyelles (actuellement au Musée Rimbaud de Charleville-Mézières); Verlaine lui consacra un sonnet de remerciements, car Blémont n’abandonna jamais « le Pauvre Lélian » dans ses malheurs.

Nouveaux vers pour Fantin-Latour

… Il était vraiment beau
Et fort solidement brossé, le grand tableau
Où nous groupant alors, nous, les jeunes poètes,
Sur la nappe, au dessert, vous dressâtes nos têtes.
Là, quel tas de rimeurs : d’Hervilly, Pelletan,
Léon Valade sous sa barbe de Persan,
Et Verlaine, et Rimbaud avec sa face énorme,
Et le bel Elzéar en chapeau haut de forme !…
Émile Blémont. La Belle Aventure, 1895.

*

À Émile Blémont

La vindicte bourgeoise assassinait mon nom
Chinoisement, à coups d’épingle, quelle affaire !
Et la tempête allait plus âpre dans mon verre.
D’ailleurs, du seul grief, Dieu bravé, pas un non,
Pas un oui, pas un mot ! L’opinion sévère,
Mais juste, s’en moquait, autant qu’une guenon
De noix vides. Ce bœuf bavant sur son fanon,
Le public, mâchonnait ma gloire… Encore à faire.
L’heure était tentatrice, et plusieurs d’entre ceux
Qui m’aimaient, en dépit de Prud’homme complice,
Tournèrent, carrément, furent de mon supplice,
Ou se turent, la Peur les trouvant paresseux.
Mais vous, du premier jour vous fûtes simple, brave,
Fidèle : et dans un cœur bien fait cela se grave.

Paul Verlaine, Amour, 1888.

Documents

Robert Vigneau :


L’appel de l’arbre

Dans l’arbre

Ne voyez-vous pas
Ces branches ces bras
Ces feuilles ces mains
Qui supplient en vain ?

N’entendez-vous pas
La plainte tout bas
Dans le vent la voix
Qui tremble d’effroi ?

C’est qu’une âme pleure
Dans l’arbre et demeure
À jamais en larmes
Captive d’un charme.

Pour la délivrer
Il faudrait l’aimer.

Bertrand Degott

Ballade du Royaume

À Jacques Charpentreau

Villon Guillevic ou Guillaume
(dit Kostro) avaient-ils vraiment
percé les secrets du royaume ?
ça reste un mystère et pourtant
la formule n’a rien d’occulte…
à vous lire c’est évident
il ne faut jamais être adulte

comme vous l’apprenez aux mômes
dans votre livre il est prudent
d’offrir une fleur qui embaume
on fait bien de parler au vent
d’autant plus qu’il nous catapulte
pas toujours se brosser les dents
surtout ne jamais être adulte

j’ai noté sur moi des symptômes
qui pourraient se faire inquiétants
les genoux sans mercurochrome
je caracole après le temps
et parfois me plais au tumulte
– le ciel m’épargne l’accident
qui de moi ferait un adulte

ami Charpentreau, à moins d’en
rire la vie nous laisse inculte
merci de m’enseigner comment
ne jamais jamais être un adulte.

Bertrand Degott

AUTRES POÈMES

Le rire de l’ange

Je sens une aile qui me frôle
Pendant que je rêve et j’écris
Des vers sur les anges : il rit
L’ange derrière mon épaule.

Le Visage de l’ange.

Le chant

J’attendrai le temps qu’il faudra,
Je serai pluie, je serai pierre,
Galet, silex, cendres, poussière,
Fleur de pêcher, fruit de cédrat,

Quand le ciel claquant comme un drap
Sous le vent des heures dernières
Déchirera sa bleue bannière
Dans un universel fatras,

Je serai là, gerbe d’atomes
Éparpillés sous le grand dôme
Qui ne connaîtra plus de lois !

S’élèvera dans ce désastre
Embrasant le ciel d’astre en astre
Le chant que je portais en moi.

La fugitive.

L’Odyssée

Bousculade à la queue, c’est pour l’Eldorado !
Chaque jour le chaudron bout dans l’aérogare,
Ça vit, ça va, ça court, ça pue, ça se bagarre,
Enfants, chiens, retraités, valises, sacs à dos…

Pèlerins et bourgeois déguisés en clodos,
C’est la même ferveur sur la route. Pleins phares !
Ce long serpent figé, c’est l’armée des barbares
Qui grouille à pied, en train, à cheval, en radeau.

Monceaux de viande grasse épandus sur les plages,
Concentration des camps, remugles de cités,
Bruit, fureur et bonheur de la promiscuité !
Heureux qui comme Ulysse après un long voyage

Retrouve son fauteuil, et seul s’enferme à clé,
Rêvant de l’Odyssée sans voisins ni télé.

                      Écoute-les bêler,
                          Du Bellay !

 La part des anges.

Métaphysique

Sur la corde à linge
ma chemise se gonfle au vent.
Il n’y a rien dedans.
On ne voit pas
une âme mise à sécher.

Musée secret

Le vieux poète

Moi, mon royaume fut royaume de papier,
Ma richesse des mots, mes titres des poèmes.
Je ne fus même pas le seigneur de moi-même,
Je n’ai rien inventé, je n’ai fait que copier.

Je n’eus pas de servants ni de valets de pied,
Je ne fus châtelain qu’en Espagne ou Bohème.
Un sonnet réussi fut mon trésor suprême.
Ma voie royale fut un tout petit sentier.

Mais j’eus tant de bonheur à quelquefois entendre
Mes simples mots redits par de jeunes voix tendres,
Des enfants inconnus, dans un moment heureux !

Ces enfants devenus des hommes, j’imagine
Qu’ils entendent toujours cette voix anonyme
Et mon âme allégée chante encore avec eux.

La fugitive.

 Le petit clown blanc de la lune

Le petit clown blanc de la lune
Joue du violon, bat du tambour,
Jongle avec des noyaux de prunes,
Des diamants, des pommes d’amour,
Dans la douce nuit de velours.

Le petit clown blanc de la lune
Se balance au ciel en rêvant;
Par-dessus la mer et les dunes,
Il se laisse bercer au vent
Sur son grand trapèze volant.

Le petit clown blanc de la lune
Me regarde au fond de la nuit.
Il console mes infortunes,
Il me sourit, pâlit, et puis
Le petit clown s’en va sans bruit.

 La carpe de mon pommier

La Carpe de mon pommier – Collage de l’auteur

« L’éphéméride fait mes rides »

– Lundi 1er décembre 2014

Révélation d’une dédicace

    L’exposition consacrée par la Bibliothèque Nationale de France à l’Oulipo de novembre 2014 à février 2015 permet de retrouver les fondateurs de cet OUvroir de LIttérature POtentielle, dont Albert-Marie Schmidt, qui en trouva le nom et l’acronyme. J’ai dans ma bibliothèque un ouvrage qui lui fut dédicacé.
     Le 3 décembre 1947, Gérard Philippe et Maria Casarès interprétèrent Les Épiphanies d’Henri Pichette (alors âgé de 23 ans) au Théâtre des Noctambules, devenu aujourd’hui la salle de cinéma Reflet, rue Champollion à Paris. Le succès (en grande partie mondain) fut considérable. Appâté, je voulus lire cette pièce et j’achetai à une petite librairie du boulevard Arago, le livre publié par K, dans une affreuse typographie de Massin, se voulant originale et si pénible pour le lecteur.
     Je fus surpris, en ouvrant l’ouvrage, de découvrir en première page une dédicace à l’encre rouge à l’intention d’Albert-Marie Schmidt. C’était bien un autographe de Pichette. Je compris, un peu plus tard, quand je sus que le dédicataire, protestant, habitait effectivement boulevard Arago, dans l’immeuble attenant le temple. Il avait probablement revendu cet ouvrage au libraire, qui l’avait mis en rayon sans l’ouvrir, et me l’avait vendu comme « neuf »… (Il y a prescription aujourd’hui).
     Bien plus tard, en 1999, j’allai voir Henri Pichette chez lui, place de la République. Il était alors devenu un poète reconnu, peut-être pas par tout le monde, mais en tout cas par la Maison de Poésie. Il était déjà malade (il devait mourir le 30 octobre 2000), mais il nous fit cadeau pour le premier numéro de notre revue Le Coin de table d’un superbe poème calligraphié par ses soins, comme toujours à l’encre rouge.

– Lundi 3 novembre 2014

La plus belle distinction

     J’apprends par une lettre signée du Conseil municipal des jeunes que les élèves de l’école de Nieuil l’Espoir, dans la Vienne, ont décidé (après un vote général) de donner mon nom à leur école, et que le Conseil municipal élu a donné son accord.
     Pour la deuxième fois, après la commune de Saint-Hilaire-des-Loges en Vendée, c’est la plus belle distinction qui m’ait jamais été accordée. Certes, j’ai reçu de nombreux Prix littéraires, certains prestigieux, comme celui que m’a décerné l’Académie française. Mais ceux qui viennent spontanément des enfants me sont les plus précieux, et d’autant plus que je ne connaissais personne dans ces deux communes. C’est un bel hommage rendu à la poésie – qui témoigne qu’elle est bien vivante aujourd’hui. Et quel superbe nom porte cette commune !

Allemagne

Un peu d’argot…

     En juin 2012, la poésie de Jacques Charpentreau était présente lors d’un très sérieux colloque universitaire international d’argotologie organisé à Innsbruck par le département de Philologie romane de cette Université et la Faculté des Sciences humaines et Sociales de Paris-Descartes (Sorbonne).

     Marina Tikhonova, de l’Université de Smolensk (Russie) y a présenté un rapport sur les éléments argotiques dans la poésie contemporaine pour les enfants. Elle y a analysé plusieurs poèmes du recueil de Jacques Charpentreau, La Banane à la moutarde (Nathan, 1986), en particulier le vocabulaire de l’argot scolaire.

Le bain

Dans la baignoire, j’ai vidé
Tous les shampoings que j’ai touillés,
J’ai fait plonger, malgré sa frousse,
Mon petit frère, et j’ai crié :
« Maman ! Viens voir ! le petit mousse ! »

Puis j’ai tiré la courte-paille
Et j’ai dit : « Tu seras mangé ! »
Depuis, le petit mousse braille :
Il sera dur à digérer…

Un bon petit cœur

(Devinette)

En quittant mon amie Sandrine,
Je lui ai souhaité « Bonne angine » ;
Mais à l’affreux Maximilien,
J’ai susurré : « Porte-toi bien ! »

            Pourquoi ?

 C’est parce que demain matin,
En classe on a une interro,
Sandrine restera au chaud,
Chez elle, avec un bon bouquin,
Et l’ignoble Maximilien
Viendra récolter un zéro.


La Banane à la moutarde. Poèmes abominables pour enfants plus ou moins sages.

Nathan, 1986.

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Mozambique

     Le Centre culturel franco-mozambicain organise une exposition de photos sur la ville, avec la participation de l’ambassade de France au Mozambique et au Swaziland.

     Le calligramme de Jacques Charpentreau, Message de la ville en poésie sera reproduit dans le catalogue.

Russie

     Marina Tikhonova, Professeur à l’Université de Smolensk, vient de publier dans une revue scientifique un article intitulé : « La petite rose des fables » de Jacques Charpentreau : les fables modernes pour les enfants d’aujourd’hui.

Un album russe

      Un album illustré de poèmes français traduits en russe, à l’intention des enfants, vient de paraître en Russie. Le traducteur, Mikhaïl Yasnov, est lui-même un célèbre poète et un fameux traducteur.
     On trouve dans ce beau livre des œuvres de cinq poètes français, dont Jacques Charpentreau qui ouvre le recueil en grande vitesse.

     Poèmes traduits : Paris, Les trottoirs, Chez le coiffeur, Les antennes de télévision, Les pigeons, Les gens, Les moineaux, Les mannequins, Le marché aux sorcières.

Les mannequins

Vêtus de soie, vêtus de laine,
De nylon, de coton, d’indienne,
Les mannequins sourient et prennent
La pose, comme les statues,
Dans la vitrine devenue
Le musée du coin de la rue.

Jacques Charpentreau

La Ville enchantée. L’École.

Les mannequins

– Monsieur, Monsieur, quelle heure est-il ? Traduction : Mikhaïl Yasnov. Illustrations : Mikhaïl Bytchekov. Éditions Detgiz, Moscou.
     Poèmes de Jacques Charpentreau, Jean-Luc Moreau, Lise Mathieu, Robert Vigneau, Jacqueline Saint-Jean.

Jacques Charpentreau – L’Ecole – Ouvrage scolaire russe.
Résumé de la thèse de Lena Lartchenkova consacrée à l’analyse du style de Jacques Charpentreau
(Université de Smolensk et Moscou, 2007).

Chine

Le chant du monde

« Aime-moi » dit la feuille au vent qui la caresse,
L’oiseau chante « aime-moi » vers le soleil levant.
Et l’étoile à la nuit, la vague à l’océan,
Les bois, les prés, les champs, tout ce qui vit, sans cesse,
Tout murmure « aime-moi », en un immense chœur.
Et dans ce chant du monde, « aime-moi » dit mon cœur.

Ce que les mots veulent dire.

Le Chant du monde, traduction en chinois.
Jiang Huosheng Anthologie de la poésie française du Moyen-âge à nos jours. Pékin. 1996

Anthologie chinoise.
Présentation de J. Charpentreau (extrait)

Jiang Huosheng –
Vœux du Nouvel an
à Jacques Charpentreau
Cachet de J. Charpentreau

Du Danemark

Cher Monsieur Jacques Charpentreau,

     Un petit bonjour du Danemark, d’un professeur de français qui vient de finir deux semaines de travail sur la poésie, avec des jeunes de quatorze ans, ayant moins d’un an de français.

     On a lu votre poème L’école – après avoir travaillé avec Desnos et Jacques Prévert. Les élèves ont bien travaillé avec les structures et le rythme des “modèles”. À la fin ils ont écrit des poèmes sur des tableaux de Magritte et des photos de Doisneau.

     La poésie est une source immense – elle attire des enfants et ouvre un monde des pensées et des sentiments. La poésie d’une langue étrangère sera pleine de sensualité – articulation, prononciation, intonation – le son, le rythme – les mots nous donnent des goûts. On joue !

     Je vous envoie trois poèmes des enfants pour vous remercier de votre inspiration.

Cordialement, Helle Denckert de Visme
Toftevangskolen

Birkerød
Danmark

22 juin 2012.

La maison

Dans notre monde, il y a
Des mers, des maisons par milliers,
Des oiseaux, des hommes, des pays,
Et puis mes yeux, mes yeux qui veulent
Tout voir.

Dans notre pays, il y a
Des cygnes, des auteurs,
Des forêts, des expériences,
Et puis mes yeux, mes yeux qui veulent
Tout voir.

Dans notre ville, il y a
Des quartiers, des autos,
Des écoles, des options
Et puis mes yeux, mes yeux qui veulent
Tout voir.

Dans ma maison, il y a
Des meubles, de l’amour, des photos,
Des fleurs, de la confiance,
des membre de la famille
Et puis mes yeux, mes yeux qui
Se ferment.

Émilie

Ce poème a été inspiré par L’école (texte dans la rubrique Groupe scolaire de Saint-Hilaire-des-Loges).

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Canada

EXAMENS DANGEREUX

     En Alberta, province de l’ouest du Canada, un de mes poèmes vient de faire partie d’un examen du French Language Arts, pour le Diplôme de l’Alberta Education.
     Ce n’est pas la première fois qu’un de mes écrits est ainsi soumis à la sagacité (et à la peine) des candidats. Cet honneur m’entraîna de menues difficultés voilà quelques années.
     L’un de mes textes fut ainsi proposé au commentaire du baccalauréat (épreuve de français). Il s’agissait d’un extrait particulièrement mal-pensant.

   On a dit qu’avec les poubelles de la France des millions de misérables des pays pauvres pourraient se nourrir. Cette idée est si révoltante qu’on les laisse mourir de faim pour ne pas les humilier. Les chats français mangent des produits alimentaires spéciaux (certains fabriqués en Allemagne, la voilà l’Europe unie contre la misère), tandis que les enfants d’Asie et d’Afrique souffrent de la famine. On ne peut tout de même pas envoyer des rations pour chat à l’affamé inconnu. Un jour, il aura son tombeau. Pour l’instant, on ne sait pas comment faire, on ne sait pas quoi faire. Stupides d’impuissance, nous sommes et nous restons, tout en nous apitoyant sur la souffrance qui, grâce aux moyens de masse, devient un spectacle. (Une société en toc. Éditions ouvrières, « Caliban », 1969).

JACQUES CHARPENTREAU

UN SI PROFOND SILENCE

POÈMES

« Il se fit tout à coup le plus profond silence
Quand Georgina Smolen se leva pour chanter »

Alfred de Musset, Le Saule.

     « Dans le tumulte du monde, ce silence est celui qui annonce et accompagne le passage du chant, de la grâce, de la poésie. Mais la beauté n’abolit pas l’horreur : la poésie exprime nos émotions comme nos refus des monstrueuses abominations du monde, les violences, les guerres, l’écrasement des humbles. Tout cela inspire ce recueil, dans une ombre qui s’agrandit. La poésie dit la mort comme l’amour.
     Mais la poésie ne le dit pas n’importe comment.
Je suis de ceux qui essaient encore d’exercer leur art, l’art poétique, en combinant les mots, leurs sens, leurs sons, leurs accents, leurs images, pour faire entendre le chant qui est en nous. C’est lui qui transforme les lignes d’un texte en vers d’un poème. La poésie exige qu’on accorde les mots comme un musicien accorde son instrument pour en jouer.
     Ce chant, nous l’entendons depuis toujours, accordé à la scansion de la marche de notre vie, au rythme de notre cœur, et il sera là jusqu’à son dernier battement. Pour l’entendre, il faut l’écouter sur le silence à faire en nous, malgré le tumulte du monde. »

J. C.

 Un livre de 96 pages, 13,5 cm x 20 cm. 18 euros. ISBN : 978-2-35860-034-7

La silencieuse

On n’entend pas tomber la neige
On n’entend pas marcher le chat
On ne sait pas quand s’approcha
L’amour qui nous a pris au piège.

À pas de loup la vie s’abrège
Le temps file à travers le chas
Et la patte du chat cacha
Cette pelote qui s’allège.

La silencieuse plus encor
Qui possède l’âme et le corps
Elle était là sans qu’on le sache

Celle qui tapie sans recours
Sans bruit sans espoir sans secours
Depuis toujours en moi se cache.

*

Le crime

Plus loin que le fracas des bombes et des armes,
Le grincement des chars, la folie des stukas,
Au-dessus des rockets, dans l’infernal vacarme
Des miaulements rageurs des orgues Katiouchas,
Plus puissants que les cris, les hurlements, les larmes,
Par-delà le blasphème ignoble de l’histoire,
Dans ce monde à jamais au mal abandonné,
J’entends, plus innocent que Jésus au prétoire,
Le dernier battement du cœur d’un condamné :
Le sanglot d’un enfant qu’on jette au crématoire.

*

L’adieu du régisseur

La représentation s’achève,
Il n’en reste pas plus qu’un rêve,
Une vapeur, un songe, un rien…
Mais vous avez été très bien :
Vous avez tenu votre rôle,
Tantôt émouvant, tantôt drôle,
Les spectateurs étaient contents,
Cela se sent, cela s’entend
À leurs longs silences complices,
À la façon qu’ils applaudissent.
J’ai même perçu très discret
Au fond comme un sanglot secret.
Et maintenant, j’éteins les lampes,
La salle, la herse, la rampe.
Adieu. Le noir est absolu.
Pour l’atteindre, il vous a fallu
Mener le spectacle à son terme.
La pièce est terminée. On ferme.

***

Robert Vigneau :

Un si profond silence

     « Ceci n’est pas un recueil terroriste. D’emblée, je me méfie : depuis le sibyllin Coup de dés mallarméen, j’évite soigneusement les ouvrages qui s’annoncent comme des poèmes – tout juste propres à amuser les savantasses de typographie. Ici rien de tel : il ne s’agit nullement d’un casse-tête. Il ne s’agit que de poésie. C’est à dire de sentiments. Audibles ! Cela s’intitule Un si profond silence. C’est un récent recueil de Jacques Charpentreau.
     Ce beau titre est d’ailleurs tiré d’une citation de Musset ; ce patronage romantique rassure le lecteur.  Il suggère ce silence où monte le chant de toute existence.
     On ne peut ignorer Jacques Charpentreau tant il s’est révélé prolixe : une quarantaine de recueils qui s’adressent à tous les âges et conditions (comme en témoigne même une édition en braille !) – mais ce tout dernier ouvrage tient une place particulière dans cette œuvre lyrique si ample et contrastée : le poète y offre sa méditation personnelle d’une existence confrontée à la si commune obsession de l’ultime souffle.

La vie de la vie se retire
Et le reflux est rejeté.

     Il prend place ainsi dans la simple tradition française, de Villon à Queneau par exemple, que chacun illustra selon son tempérament, du réalisme effaré du pendu à la moquerie jaune de l’instant fatal… Ici, toutefois, le ton demeure volontairement assez proche de la réflexion  commune : Il s’agit là d’une méditation à l’écart de toute révolte, d’une tranquille acceptation de la loi du vivant.

J’ai connu des joies et des larmes
Mais le temps est toujours trop court.

     Aucune frayeur. De sincères regrets sans violence. Le poète se cantonne volontiers dans ce climat pacifié. Il ne blesse jamais les croyances. Il convie à la sérénité. Il s’affirme en fidélité avec soi-même. « Je reste ce que j’ai été. »
     Son lecteur se trouve plutôt consolé dans cette ambiance dénuée de détails étrangers au moment final. Cette atmosphère peut ainsi concerner chacun. Comme un baume, même dans les images limpides de notre ignorance :

Il n’y a pas de port, il n’y a pas de rive :
L’univers se dilate, énorme cœur qui bat,
On ne sait pas pourquoi nos vieux espoirs survivent.
Nous errons sans savoir qui nous attend là-bas,
Nous fuyons dans le vide en immense dérive.

     Cependant, les anecdotes frappantes, les émotions des jours qu’ont croyait négligées sont loin de passer à la trappe de l’oubli.  Leur force au contraire, c’est de se retrouver réunies, entassées comme  autant d’éclats (c’est le titre de ce poème) d’une existence abolie  qui va s’opposer au reste du recueil entièrement consacré, lui, à cette méditation finale : ces éclats donnent ainsi matière au poème le plus fourni du recueil ; ils s’accumulent sans ponctuation, dans le désordre spontané du quotidien, en une  succession d’alexandrins uniques, souvent savamment troussés  d’ailleurs :

(…) Vin rouge et camembert oral avec Cohen
La noire antiquité sous l’énorme dolmen
Tous ces regards d’enfants à ma première classe
Et puis le dernier cours le fil du temps se casse
Michel Simon nichant dans un  grand sassafras
Franz Liszt ressuscité sous les doigts de Cziffra
Une nuit enfermé dans un immeuble en flammes
Quand les cloches sonnaient au loin à Notre-Dame
Me trouver à l’endroit où se pendit Nerval
Jean-Louis Barrault mimant le galop du cheval (… )

     Autant de moments d’émotion…   que nous ne découvrirons jamais en ampleur de poèmes !
     Le recueil s’orchestre en trois mouvements naturels, successivement : Fontaines du temps, Chaos et Harmonie.
     La première partie, Fontaines du temps, est la plus ample : elle établit surtout un état des lieux, ces impressions de l’âge qui décline selon des détails inattendus (tenir les cartes, apercevoir un régisseur, feuilleter un dictionnaire) avec cette image si récurrente chez Charpentreau, du petit garçon qu’il fut :

Pourrait-il me reconnaître
Du grand fond de ce miroir
Où j’aime à le voir paraître
S’il parvenait à me voir ?

     Chaos propose  ensuite une vision sans pitié du siècle que le poète dut vivre. On y retrouve ses accents de colère et de révolte devant les égorgeurs, infanticides et autres voisins barbares. La plus brutale actualité n’échappe pas à une vindicte peu visible en sa mélodie, nous faisant oublier que Charpentreau est aussi un vigoureux poète militant :

Fous de dieu, drogués et pervers,
Le mal à nouveau surabonde.
Il n’a jamais quitté le monde.
Nus n’avons qu’un seul univers
Dont il est le sinistre envers.
Elle revient, la bête immonde.

     L’ouvrage trouve une sorte d’apothéose dans le troisième mouvement dont l’intitulé Harmonies achève la quête et le chaos précédents.C’est l’occasion d’exprimer une sensation assez originale en inspiration poétique, la prise de conscience des existences qui nous ont précédés et, à leur suite, rendus viables :

J’ignore tout de vous en moi,
Famille immense des ancêtres,
Des choses, des plantes, des êtres
Qui me peuplent, qui font ma loi,
Et me guident sans l’apparaître.

     L’autre aspect majeur de ces ultimes pages me paraît la réponse que, volontairement, Charpentreau s’abstient d’assener à l’interrogation fatale. Il laisse chacun libre d’imaginer un paradis… ou son absence : au contraire de tant de chantres blindés dans leur dogme, Charpentreau n’avance jamais quelque foi comme preuve : à cet égard, il reste d’une honnêteté toute laïque :

Je ne sais ce que je serai.
La vie reçue, il faut la rendre
Sans en connaître le secret,
Sans le percer, sans rien comprendre,
Redevenir poussière et cendre.

     On le voit : il ne s’agit ici que de poésie, c’est à dire d’émotion – et en l’espèce de celle qui nous saisira tous à un moment donné de notre périple. On retrouve ici la réflexion de Montaigne, s’y préparant : la mort n’est pas le but de la vie, elle n’en est que le bout.
     Et pour entendre message si limpide, si universel nul besoin d’abasourdir le lecteur des faux pétards du vers libre et autres baroufs de typo : le poète s’exprime naturellement en sonnets précis, en dizains traditionnels, en vers rimés et scandés, en formes et strophes que la répétition fixe et la mémoire  retient d’autant plus aisément qu’elle s’est glissée dans sa sensibilité. »

Robert Vigneau
http://robert-vigneau.fr/blog/

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AUTRES PUBLICATIONS RÉCENTES :

c JACQUES CHARPENTREAU

GALERIE DES POÈTES FRANÇAIS

      « Ce recueil est l’hommage d’un poète d’aujourd’hui à ses prédécesseurs. En plus de dix siècles, notre poésie a été illustrée par des milliers de poètes. Il m’a bien fallu faire un choix parmi eux. En quatre-vingts quatrains j’ai évoqué quatre-vingts poètes des origines à nos jours, beaucoup prestigieux, certains moins connus, d’ici ou d’ailleurs, tous ayant fait chanter la langue française, chacun à sa façon.
     Aujourd’hui comme hier, la poésie est toujours la plus haute expression de notre langue, et j’ai voulu le rappeler avec cette Galerie qui rend un hommage personnel aux poètes qui n’en reçoivent pas souvent : le Panthéon où reposent tant de grands hommes et si peu de femmes n’a jamais accueilli que deux poètes, Voltaire et Hugo – et encore n’y ont-ils pas été admis en tant que poètes, mais plutôt pour leurs vertus civiques de penseurs et de défenseurs de nos libertés.
     Par-delà mes quatre-vingts poètes exemplaires, ce sont tous les poètes d’hier et d’aujourd’hui que je veux mettre à l’honneur, en attendant ceux qui, demain, feront chanter notre langue à leur tour. »

J. C.

Un livre de 48 pages, 11,5 cm x 18,5 cm. 12 euros. Avec vignettes.

ISBN : 978-2-35860-033-0

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JACQUES CHARPENTREAU

LES SECRETS DU ROYAUME

 Poèmes pour de jeunes lecteurs

     Un nouveau recueil : soixante-dix nouveaux poèmes pour réjouir tous ceux qui aiment la poésie – et d’abord ces « jeunes lecteurs » qui découvrent les merveilles de l’imagination et des mots, ces mots qui les amènent au royaume de la poésie et de la vie.
     On sait bien que l’accord des enfants et de la poésie est une rencontre à la fois merveilleuse et naturelle, mais on sait aussi combien il est délicat de choisir les poèmes de cette première rencontre. En voilà quelques-uns qui ne décevront pas leurs jeunes lecteurs (ni les parents qui retrouveront eux aussi leur premier émerveillement poétique).
     Le charme de ces vers, au sens de « l’enchantement », vient de leurs images d’une simplicité éblouissante, et de leur chant qui est celui d’une versification si souple, si harmonieuse, qu’elle semble naturelle, alors que la poésie utilise ici toutes les ressources du vers français.
     Ce n’est pas par hasard que beaucoup de poèmes de Jacques Charpentreau sont lus, aimés, partagés dans les écoles en France et dans tous les pays où notre langue est parlée avec des accents plus ou moins divers, qu’on les retrouve dans des écoles françaises en Indonésie ou en Afrique, et en traductions jusqu’en Russie ou en Chine. On peut dire que cette poésie qui chante dans ces classes est ainsi devenue une poésie classique – mais vivante.

     Jacques Charpentreau a reçu de nombreux Prix (y compris de l’Académie française) et un groupe scolaire a choisi de porter son nom. Mais sa plus grande récompense, c’est que ses poèmes soient appris et chantonnés par des enfants pour leur propre plaisir – et peu importe qu’ils aient oublié le nom du poète, s’ils entendent longtemps, toute leur vie peut-être, ses vers chanter en eux.

Un livre de 104 pages, 11,7 cm x 18,5 cm. 18 euros. Avec des collages de l’auteur.

ISBN : 978-2-35860-025-5

  LA TOURELLE. LA MAISON DE POÉSIE

SOCIÉTÉ DES POÈTES FRANÇAIS. 16, RUE MONSIEUR-LE-PRINCE. 75006 PARIS


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 L’Étrave :

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Louis Delorme :

Jacques Charpentreau – LES SECRETS DU ROYAUME 

     Les secrets du royaume ! Du royaume de Poésie bien sûr ! c’est ce qu’ajoute Jacques Charpentreau sur l’exemplaire qu’il me fait l’honneur de me dédicacer. En sous-titre : Poèmes pour de jeunes lecteurs.
     Existe-t-il une poésie pour enfants ? C’est Jacques Charpentreau lui-même qui m’avait posé la question. Il me semble qu’on peut donner à lire aux enfants, voire à apprendre, la plupart des poèmes. Ce qui compte c’est la façon de les aborder. Mais on peut concevoir aussi une poésie pour les jeunes lecteurs. C’est ce qu’ont fait Maurice Carême, Claude Roy (Enfantasque ), Robert Desnos (Chantefables et Chantefleurs) et même Apollinaire (Bestiaire). Et Jacques Charpentreau également qui est connu pour les anthologies poétiques qu’il a réunies à l’attention des écoles. On connaît de lui : Poèmes d’aujourd’hui pour les enfants de maintenant (destinés à un public d’école primaire) et Poèmes pour les Jeunes du temps présent (à l’adresse des adolescents)
     Si l’on veut faire une poésie à l’intention des enfants, l’important c’est de ne pas tomber pour autant dans la mièvrerie, dans l’infantilisme. S’imaginer que les enfants sont incapables d’accéder à la beauté des mots. Et d’en jouer eux-mêmes. Comment le poète s’y prend-il pour se mettre à la portée de ces jeûnes lecteurs ? Il utilise de préférence des mètres courts, quadrisyllabes, pentasyllabes, hexasyllabes, heptasyllabes, octosyllabes, bien cadencés et ainsi propres à accrocher l’attention et la mémorisation du texte. Tout cela, c’est de belle musique ! Et des recettes qui fonctionnent : les interrogations ; « Qu’as-tu fait en classe aujourd’hui ? /  Du parachute en parapluie // Qu’as-tu fait en cours de français ?  Oublier tout ce que je sais. » (in Questions inévitables au retour de l’école), les jeux sur les mots et expressions : « Qu’elle était belle la Lurette / Qui se promenait au jardin,/ Collier d’or, robe de satin, / Dansant et chantant à tue-tête. » (in La Belle Lurette), les contradictions, les changements de rôle : « Changeons ! a dit le maître. / Le noir s’appelle blanc, / Le froid devient brûlant, / Quatre et treize font seize, / On conduit sans volant. » (in Qui sont les bons élèves ? ) et puis, un surréalisme de bon aloi qui plaît tant aux enfants ; « Léa joue du violon à voiles / Zéphyrin d’un truc à pédales / Suzon du fromage à virgules / Moi, je joue du fauteuil à bulles. » (in Les musiciens).
     Le livre de Jacques Charpentreau ne s’adresse pas qu’aux enfants. Il peut devenir aussi un excellent outil pédagogique. On peut faire réagir les enfants sur la plupart des poèmes. On pourra chercher d’autres Qu’as-tu fait ?, d’autres joueurs d’instruments bizarres, d’autres changements d’identité. Que vont devenir le chat, le zèbre… ? Jacques Charpentreau connaît bien l’univers des enfants : il exploite les thèmes qui « marchent », en regroupant les textes qui y font référence : La clé des champs, À l’école, Mes bêtes, Sortilèges, etc. Ce didactisme ajoute à l’intérêt du livre.
     Laissons-nous emporter Au Royaume  de poésie avec ces « fées en robe de gala / Et falbalas / Des fées qui changent les cailloux / En beaux bijoux », avec « le vrai magicien / Réveillant la terre endormie / Par sa mystérieuse alchimie », nous qui avons su rester de grands enfants et nous pourrons, par esprit de contradiction, jouer avec les nôtres, à trouver des sorciers qui changent les bijoux en cailloux, qui retardent la venue du printemps, qui sait ? Pour augmenter notre plaisir, le poète illustre son recueil avec des collages qui prolongent le rêve. Votre livre me donnerait envie de retourner à l’école pour le transmettre à mes élèves. Merci, cher Jacques Charpentreau pour cette bulle de bonheur ! nous en avons tellement besoin.

Louis Delorme

***

Robert Vigneau :


L’appel de l’arb
re

Dans l’arbre

Ne voyez-vous pas
Ces branches ces bras
Ces feuilles ces mains
Qui supplient en vain ?

N’entendez-vous pas
La plainte tout bas
Dans le vent la voix
Qui tremble d’effroi ?

C’est qu’une âme pleure
Dans l’arbre et demeure
À jamais en larmes
Captive d’un charme.

Pour la délivrer
Il faudrait l’aimer.

Bertrand Degott

Ballade du Royaume

À Jacques Charpentreau

Villon Guillevic ou Guillaume
(dit Kostro) avaient-ils vraiment
percé les secrets du royaume ?
ça reste un mystère et pourtant
la formule n’a rien d’occulte…
à vous lire c’est évident
il ne faut jamais être adulte

comme vous l’apprenez aux mômes
dans votre livre il est prudent
d’offrir une fleur qui embaume
on fait bien de parler au vent
d’autant plus qu’il nous catapulte
pas toujours se brosser les dents
surtout ne jamais être adulte

j’ai noté sur moi des symptômes
qui pourraient se faire inquiétants
les genoux sans mercurochrome
je caracole après le temps
et parfois me plais au tumulte
– le ciel m’épargne l’accident
qui de moi ferait un adulte

ami Charpentreau, à moins d’en
rire la vie nous laisse inculte
merci de m’enseigner comment
ne jamais jamais être un adulte.

Bertrand Degott

AUTRES POÈMES

Le rire de l’ange

Je sens une aile qui me frôle
Pendant que je rêve et j’écris
Des vers sur les anges : il rit
L’ange derrière mon épaule.

Le Visage de l’ange.

***

Le chant

J’attendrai le temps qu’il faudra,
Je serai pluie, je serai pierre,
Galet, silex, cendres, poussière,
Fleur de pêcher, fruit de cédrat,

Quand le ciel claquant comme un drap
Sous le vent des heures dernières
Déchirera sa bleue bannière
Dans un universel fatras,

Je serai là, gerbe d’atomes
Éparpillés sous le grand dôme
Qui ne connaîtra plus de lois !

S’élèvera dans ce désastre
Embrasant le ciel d’astre en astre
Le chant que je portais en moi.

La fugitive.

***

L’Odyssée

Bousculade à la queue, c’est pour l’Eldorado !
Chaque jour le chaudron bout dans l’aérogare,
Ça vit, ça va, ça court, ça pue, ça se bagarre,
Enfants, chiens, retraités, valises, sacs à dos…

Pèlerins et bourgeois déguisés en clodos,
C’est la même ferveur sur la route. Pleins phares !
Ce long serpent figé, c’est l’armée des barbares
Qui grouille à pied, en train, à cheval, en radeau.

Monceaux de viande grasse épandus sur les plages,
Concentration des camps, remugles de cités,
Bruit, fureur et bonheur de la promiscuité !
Heureux qui comme Ulysse après un long voyage

Retrouve son fauteuil, et seul s’enferme à clé,
Rêvant de l’Odyssée sans voisins ni télé.

                      Écoute-les bêler,
                          Du Bellay !

 La part des anges.

Métaphysique

Sur la corde à linge
ma chemise se gonfle au vent.
Il n’y a rien dedans.
On ne voit pas
une âme mise à sécher.

Musée secret

***

Le vieux poète

Moi, mon royaume fut royaume de papier,
Ma richesse des mots, mes titres des poèmes.
Je ne fus même pas le seigneur de moi-même,
Je n’ai rien inventé, je n’ai fait que copier.

Je n’eus pas de servants ni de valets de pied,
Je ne fus châtelain qu’en Espagne ou Bohème.
Un sonnet réussi fut mon trésor suprême.
Ma voie royale fut un tout petit sentier.

Mais j’eus tant de bonheur à quelquefois entendre
Mes simples mots redits par de jeunes voix tendres,
Des enfants inconnus, dans un moment heureux !

Ces enfants devenus des hommes, j’imagine
Qu’ils entendent toujours cette voix anonyme
Et mon âme allégée chante encore avec eux.

La fugitive.

***

 Le petit clown blanc de la lune

Le petit clown blanc de la lune
Joue du violon, bat du tambour,
Jongle avec des noyaux de prunes,
Des diamants, des pommes d’amour,
Dans la douce nuit de velours.

Le petit clown blanc de la lune
Se balance au ciel en rêvant;
Par-dessus la mer et les dunes,
Il se laisse bercer au vent
Sur son grand trapèze volant.

Le petit clown blanc de la lune
Me regarde au fond de la nuit.
Il console mes infortunes,
Il me sourit, pâlit, et puis
Le petit clown s’en va sans bruit.

 La carpe de mon pommier

La Carpe de mon pommier.  Collage de l’auteur.

 Actualités

Rencontres

Radotages-Radeau d’âge

« L’éphéméride fait mes rides »

– Lundi 1er décembre 2014

Révélation d’une dédicace

    L’exposition consacrée par la Bibliothèque Nationale de France à l’Oulipo de novembre 2014 à février 2015 permet de retrouver les fondateurs de cet OUvroir de LIttérature POtentielle, dont Albert-Marie Schmidt, qui en trouva le nom et l’acronyme. J’ai dans ma bibliothèque un ouvrage qui lui fut dédicacé.
     Le 3 décembre 1947, Gérard Philippe et Maria Casarès interprétèrent Les Épiphanies d’Henri Pichette (alors âgé de 23 ans) au Théâtre des Noctambules, devenu aujourd’hui la salle de cinéma Reflet, rue Champollion à Paris. Le succès (en grande partie mondain) fut considérable. Appâté, je voulus lire cette pièce et j’achetai à une petite librairie du boulevard Arago, le livre publié par K, dans une affreuse typographie de Massin, se voulant originale et si pénible pour le lecteur.
     Je fus surpris, en ouvrant l’ouvrage, de découvrir en première page une dédicace à l’encre rouge à l’intention d’Albert-Marie Schmidt. C’était bien un autographe de Pichette. Je compris, un peu plus tard, quand je sus que le dédicataire, protestant, habitait effectivement boulevard Arago, dans l’immeuble attenant le temple. Il avait probablement revendu cet ouvrage au libraire, qui l’avait mis en rayon sans l’ouvrir, et me l’avait vendu comme « neuf »… (Il y a prescription aujourd’hui).
     Bien plus tard, en 1999, j’allai voir Henri Pichette chez lui, place de la République. Il était alors devenu un poète reconnu, peut-être pas par tout le monde, mais en tout cas par la Maison de Poésie. Il était déjà malade (il devait mourir le 30 octobre 2000), mais il nous fit cadeau pour le premier numéro de notre revue Le Coin de table d’un superbe poème calligraphié par ses soins, comme toujours à l’encre rouge.

– Lundi 3 novembre 2014

La plus belle distinction

     J’apprends par une lettre signée du Conseil municipal des jeunes que les élèves de l’école de Nieuil l’Espoir, dans la Vienne, ont décidé (après un vote général) de donner mon nom à leur école, et que le Conseil municipal élu a donné son accord.
     Pour la deuxième fois, après la commune de Saint-Hilaire-des-Loges en Vendée, c’est la plus belle distinction qui m’ait jamais été accordée. Certes, j’ai reçu de nombreux Prix littéraires, certains prestigieux, comme celui que m’a décerné l’Académie française. Mais ceux qui viennent spontanément des enfants me sont les plus précieux, et d’autant plus que je ne connaissais personne dans ces deux communes. C’est un bel hommage rendu à la poésie – qui témoigne qu’elle est bien vivante aujourd’hui. Et quel superbe nom porte cette commune !

Allemagne

Un peu d’argot…

     En juin 2012, la poésie de Jacques Charpentreau était présente lors d’un très sérieux colloque universitaire international d’argotologie organisé à Innsbruck par le département de Philologie romane de cette Université et la Faculté des Sciences humaines et Sociales de Paris-Descartes (Sorbonne).

     Marina Tikhonova, de l’Université de Smolensk (Russie) y a présenté un rapport sur les éléments argotiques dans la poésie contemporaine pour les enfants. Elle y a analysé plusieurs poèmes du recueil de Jacques Charpentreau, La Banane à la moutarde (Nathan, 1986), en particulier le vocabulaire de l’argot scolaire.

Le bain

Dans la baignoire, j’ai vidé
Tous les shampoings que j’ai touillés,
J’ai fait plonger, malgré sa frousse,
Mon petit frère, et j’ai crié :
« Maman ! Viens voir ! le petit mousse ! »

Puis j’ai tiré la courte-paille
Et j’ai dit : « Tu seras mangé ! »
Depuis, le petit mousse braille :
Il sera dur à digérer…

*

Un bon petit cœur

(Devinette)

En quittant mon amie Sandrine,
Je lui ai souhaité « Bonne angine » ;
Mais à l’affreux Maximilien,
J’ai susurré : « Porte-toi bien ! »

            Pourquoi ?

 C’est parce que demain matin,
En classe on a une interro,
Sandrine restera au chaud,
Chez elle, avec un bon bouquin,
Et l’ignoble Maximilien
Viendra récolter un zéro.


La Banane à la moutarde. Poèmes abominables pour enfants plus ou moins sages.

Nathan, 1986.

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Mozambique

     Le Centre culturel franco-mozambicain organise une exposition de photos sur la ville, avec la participation de l’ambassade de France au Mozambique et au Swaziland.

     Le calligramme de Jacques Charpentreau, Message de la ville en poésie sera reproduit dans le catalogue.

Jacques Charpentreau, Paris des enfants.L’École des Loisirs, 1978.

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Russie

     Marina Tikhonova, Professeur à l’Université de Smolensk, vient de publier dans une revue scientifique un article intitulé : « La petite rose des fables » de Jacques Charpentreau : les fables modernes pour les enfants d’aujourd’hui.

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Un album russe

      Un album illustré de poèmes français traduits en russe, à l’intention des enfants, vient de paraître en Russie. Le traducteur, Mikhaïl Yasnov, est lui-même un célèbre poète et un fameux traducteur.
     On trouve dans ce beau livre des œuvres de cinq poètes français, dont Jacques Charpentreau qui ouvre le recueil en grande vitesse.

     Poèmes traduits : Paris, Les trottoirs, Chez le coiffeur, Les antennes de télévision, Les pigeons, Les gens, Les moineaux, Les mannequins, Le marché aux sorcières.

Les mannequins

Vêtus de soie, vêtus de laine,
De nylon, de coton, d’indienne,
Les mannequins sourient et prennent
La pose, comme les statues,
Dans la vitrine devenue
Le musée du coin de la rue.

Jacques Charpentreau

La Ville enchantée. L’École.

– Monsieur, Monsieur, quelle heure est-il ? Traduction : Mikhaïl Yasnov. Illustrations : Mikhaïl Bytchekov. Éditions Detgiz, Moscou.
     Poèmes de Jacques Charpentreau, Jean-Luc Moreau, Lise Mathieu, Robert Vigneau, Jacqueline Saint-Jean.

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Jacques Charpentreau, L’école. Ouvrage scolaire russe.

Résumé de la thèse de Lena Lartchenkova consacrée à l’analyse du style de Jacques Charpentreau (Université de Smolensk et Moscou, 2007).

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Chine

Le chant du monde

« Aime-moi » dit la feuille au vent qui la caresse,
L’oiseau chante « aime-moi » vers le soleil levant.
Et l’étoile à la nuit, la vague à l’océan,
Les bois, les prés, les champs, tout ce qui vit, sans cesse,
Tout murmure « aime-moi », en un immense chœur.
Et dans ce chant du monde, « aime-moi » dit mon cœur.

Ce que les mots veulent dire.

Le chant du monde, traduction en chinois.
Jiang Huosheng, Anthologie de la poésie française du Moyen Âge à nos jours. Pékin, 1996.

Anthologie chinoise. Présentation de Jacques Charpentreau (extrait).
Jiang Huosheng, Vœux de nouvel an à Jacques Charpentreau.

Cachet de Jacques Charpentreau.

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Du Danemark

Cher Monsieur Jacques Charpentreau,

     Un petit bonjour du Danemark, d’un professeur de français qui vient de finir deux semaines de travail sur la poésie, avec des jeunes de quatorze ans, ayant moins d’un an de français.

     On a lu votre poème L’école – après avoir travaillé avec Desnos et Jacques Prévert. Les élèves ont bien travaillé avec les structures et le rythme des “modèles”. À la fin ils ont écrit des poèmes sur des tableaux de Magritte et des photos de Doisneau.

     La poésie est une source immense – elle attire des enfants et ouvre un monde des pensées et des sentiments. La poésie d’une langue étrangère sera pleine de sensualité – articulation, prononciation, intonation – le son, le rythme – les mots nous donnent des goûts. On joue !

     Je vous envoie trois poèmes des enfants pour vous remercier de votre inspiration.

Cordialement,

Helle Denckert de Visme
Toftevangskolen
Birkerød
Danmark

22 juin 2012.

La maison

Dans notre monde, il y a
Des mers, des maisons par milliers,
Des oiseaux, des hommes, des pays,
Et puis mes yeux, mes yeux qui veulent
Tout voir.

Dans notre pays, il y a
Des cygnes, des auteurs,
Des forêts, des expériences,
Et puis mes yeux, mes yeux qui veulent
Tout voir.

Dans notre ville, il y a
Des quartiers, des autos,
Des écoles, des options
Et puis mes yeux, mes yeux qui veulent
Tout voir.

Dans ma maison, il y a
Des meubles, de l’amour, des photos,
Des fleurs, de la confiance,
des membre de la famille
Et puis mes yeux, mes yeux qui
Se ferment.

Émilie

Ce poème a été inspiré par L’école (texte dans la rubrique Groupe scolaire de Saint-Hilaire-des-Loges).

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Canada

EXAMENS DANGEREUX

     En Alberta, province de l’ouest du Canada, un de mes poèmes vient de faire partie d’un examen du French Language Arts, pour le Diplôme de l’Alberta Education.
     Ce n’est pas la première fois qu’un de mes écrits est ainsi soumis à la sagacité (et à la peine) des candidats. Cet honneur m’entraîna de menues difficultés voilà quelques années.
     L’un de mes textes fut ainsi proposé au commentaire du baccalauréat (épreuve de français). Il s’agissait d’un extrait particulièrement mal-pensant.

   On a dit qu’avec les poubelles de la France des millions de misérables des pays pauvres pourraient se nourrir. Cette idée est si révoltante qu’on les laisse mourir de faim pour ne pas les humilier. Les chats français mangent des produits alimentaires spéciaux (certains fabriqués en Allemagne, la voilà l’Europe unie contre la misère), tandis que les enfants d’Asie et d’Afrique souffrent de la famine. On ne peut tout de même pas envoyer des rations pour chat à l’affamé inconnu. Un jour, il aura son tombeau. Pour l’instant, on ne sait pas comment faire, on ne sait pas quoi faire. Stupides d’impuissance, nous sommes et nous restons, tout en nous apitoyant sur la souffrance qui, grâce aux moyens de masse, devient un spectacle. (Une société en toc. Éditions ouvrières, « Caliban », 1969).

     Ce texte provocateur inspira certains candidats et en décontenança d’autres. En particulier dans ma Vendée natale où j’étais en vacances.
     Le problème, c’était que certains recalés rendirent ce texte bizarre responsable de leur échec.
     En ces temps-là, on servait l’essence à l’automobiliste venant s’approvisionner (aujourd’hui, que le client se débrouille ; on mesure le chemin parcouru dans notre dégringolade…), ce qui constituait un petit travail intéressant pour un jeune homme en vacances désirant gagner un peu d’argent. Un recalé du bac, par exemple. Je n’osais même plus me présenter à la pompe où le jeune homme officiait, silencieux, sombre, ruminant sa défaite, et se demandant encore ce qu’on pouvait bien tirer d’un texte aussi stupide.
     J’avoue que je n’en sais rien.

Le Coin de table. Janvier 2013.