Entretien de Grégory Rateau, lauréat du Prix Rimbaud 2024 de la Maison de poésie par Karen Cayrat sur PRO/P(R)OSE Magazine
Pro/p(r)ose Magazine : On note plusieurs constantes dans ton travail : une lutte contre les injustices, la culture d’un Humanisme fort tout comme de l’espoir, la mise en valeur de figures des marges, un goût certain pour les autres, les cultures, les mots, un goût certain pour du voyage, de l’errance, de la dérive au sens de Debord, de l’image me semble-t-il aussi qu’elle soit fixe ou animée (Art, Photographie, Cinéma…). Comment ressens-tu ces constantes et perçois-tu leur évolution, leur cheminement de poème en poème, de livres en livres ? Et comment cultives-tu l’inspiration ?
Grégory Rateau : C’est bien ça, j’aime encore profondément mon prochain mais je l’aime en refusant de tomber dans le politiquement correct, en refusant de faire taire pour lui mes désirs, mes rêves et mes espoirs pour être à tout prix accepté dans “la bande”. Je ne veux pas écrire un commentaire de l’actualité ou passer par des mots clés pour souligner au crayon rouge que je suis en empathie avec untel ou untel. La poésie doit tendre à l’universalité et à l’intemporalité sinon comme je le répète, elle est très rapidement datée comme nos actualités. Que je passe du JE au NOUS, je plonge dans mon intériorité, c’est indiscutable, et vice versa, en dépeignant les autres, on se dissimule parfois très habilement. Le monde tout autour fait bien partie de moi, c’est un fait, je le ressens par le prisme de ma subjectivité, Quand on meurt, un monde disparaît, le nôtre. il faut donc rester en alerte comme un enfant. Devenir adulte c’est malheureusement vouloir vivre en conformité avec les attentes du groupe, de notre famille, de ceux auprès desquels on rêve d’obtenir “la validation”. C’est donc un combat au quotidien pour ne pas se couper totalement de l’enfant qui nous tire encore par la manche. J’essaie de rester cohérent avec celui que j’étais et que je suis toujours, de creuser encore un peu plus mes obsessions, de ne rien forcer, surtout pas pour séduire ou orienter l’émotion des lecteurs. Devenir ce que l’on est, c’est la mission d’une vie.
Concernant ma poésie, l’évolution s’est faite très naturellement, on évolue en fonction de nos expériences, de notre vécu, de nos découvertes, de nos rencontres. J’aime aussi me surprendre moi-même, me mettre “en danger”, sortir de ma zone de confort pour tenter autre chose. Je ne veux pas écrire pour écrire, me discipliner au point d’en faire une gymnastique de l’esprit, je me laisse guider par la nécessité. Je ne peux pas théoriser sur mon rapport à la poésie mais je peux ici vous répondre en vous parlant de mon rapport au monde, de mon rapport aux autres. Je participe également à des jurys de prix littéraire jeunesse (Poésie en liberté, l’AUF…), cela m’enchante, une belle relève est assurée, la jeunesse déborde de créativité, je l’avais déjà constaté en travaillant plusieurs années durant dans l’enseignement. J’aime défricher de nouveaux textes, cela stimule ma propre créativité, découvrir de nouveaux talents que je recommande assez souvent à des éditeurs, à des revues. Je le fais car je me dois de le faire, de rendre ce que l’on m’a donné et cela même si personne ne m’a jamais vraiment tendu la main au départ. Je considère que ce que vous faites (me donner la parole) justifie amplement que je le rende à d’autres quand j’en ai la possibilité et eux la nécessité.
